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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/724

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tiennent que des extraits des decrétales. Le premier livre commence par un titre sur la sainte Trinité, à l’exemple du code de Justinien ; les trois suivans expliquent les diverses especes du droit canonique, écrit & non écrit : depuis le cinquieme titre jusqu’à celui des pactes, il est parlé des élections, dignités, ordinations, & qualités requises dans les clercs ; cette partie peut être regardée comme un traité des personnes : depuis le titre des pactes jusqu’à la fin du second livre, on expose la maniere d’intenter, d’instruire, & de terminer les procès en matiere civile ecclésiastique, & c’est de-là que nous avons emprunté, suivant la remarque des savans, toute notre procédure. Le troisieme livre traite des choses ecclésiastiques, telles que sont les bénéfices, les dixmes, le droit de patronage : le quatrieme, des fiançailles, du mariage, & de ses divers empêchemens ; dans le cinquieme, il s’agit des crimes ecclésiastiques, de la forme des jugemens en matiere criminelle, des peines canoniques, & des censures.

Raimond ayant mis la derniere main à son ouvrage, le pape Grégoire IX. lui donna le sceau de l’autorité publique, & ordonna qu’on s’en servît dans les tribunaux & dans les écoles, par une constitution qu’on trouve à la tête de cette collection, & qui est adressée aux docteurs & aux étudians de l’université de Bologne : ce n’est pas néanmoins que cette collection ne fût défectueuse à bien des égards. On peut reprocher avec justice à Raimond de ce que pour se conformer aux ordres de Grégoire IX. qui lui avoit recommandé de retrancher les superfluités dans le recueil qu’il feroit des différentes constitutions éparses en divers volumes, il a souvent regardé & retranché comme inutiles des choses qui étoient absolument nécessaires pour arriver à l’intelligence de la decrétale. Donnons-en un exemple. Le cap. jx. extra de consuetud. contient un rescrit d’Honoré III. adressé au chapitre de Paris, dont voici les paroles : Cum consuetudinis ususque longoevi non sit levis autoritas, & plerumque discordiam pariant novitates : autoritate vobis presentium inhibemus, ne absque episcopi vestri consensu immutetis ecclesiæ vestræ constitutiones & consuetudines approbatas, vel novas etiam inducatis : si quas forte fecistis, irritas decernentes Le rescrit conçû en ces termes ne signifie autre chose, sinon que le chapitre ne peut faire de nouvelles constitutions sans le consentement de l’évêque : ce qui étant ainsi entendu dans le sens général, est absolument faux. Il est arrivé de-là que ce capitule a paru obscur aux anciens canonistes ; mais il n’y auroit point eu de difficulté, s’ils avoient consulte la decrétale entiere, telle qu’elle se trouve dans la cinquieme compilation, cap. j. eod. tit. Dans cette decrétale, au lieu de ces paroles, si quas forte (constitutiones) fecistis, irritas decernentes, dont Raimond se sert, on lit celles-ci : irritas decernentes (novas institutiones) si quas forte fecistis in ipsius episcopi prejudicium, postquam est regimen Parisiensis ecclesiæ adeptus. Cette clause omise par Raimond ne fait-elle pas voir évidemment qu’Honoré III. n’a voulu annuller que les nouvelles constitutions faites par le chapitre sans le consentement de l’évêque, au préjudice du même évêque ? & alors la décision du pape n’aura besoin d’aucune interprétation. On reproche encore à l’auteur de la compilation, d’avoir souvent partagé une decrétale en plusieurs ; ce qui lui donne un autre sens, ou du moins la rend obscure. C’est ainsi que la decrétale du cap. v. de foro competenti, dans la troisieme collection, est divisée par Raimond en trois différentes parties, dont l’une se trouve au cap. x. extra de const. la seconde, dans le c. iij. extra ut lite pendente nihil innovetur ; & la troisieme, au cap. jv. ibid. cette division est cause qu’on ne peut entendre le sens d’aucun de ces trois capitules, à moins qu’on ne les réunisse ensemble,

comme ils le sont dans l’ancienne collection : de plus en rapportant une decrétale, il omet quelquefois la précédente ou la suivante, qui jointe avec elle, offre un sens clair ; au lieu qu’elle n’en forme point lorsqu’elle en est séparée. Le cap. iij. extra de constit. qui est tiré du cap. jv. eod. in primâ compilat. en est une preuve. On lit dans les deux textes ces paroles : translato sacerdotio, necesse est ut legis translatio fiat ; quia enim simul & ab eodem & sub eadem sponsione utraque data sunt, quod de uno dicitur, necesse est ut de altero intelligatur. Ce passage qui se trouve isolé dans Raimond est obscur, & on ne comprend pas en quoi consiste la translation de la loi : mais si on compare le même texte avec le cap. iij. & v. de la premiere collection que Raimond a omis dans la sienne, alors on aura la véritable espece proposée par l’ancien compilateur, & le vrai sens de ces paroles, qui signifient que les préceptes de l’ancienne loi ont été abrogés par la loi de grace ; parce que le sacerdoce & la loi ancienne ayant été donnés en même tems & sous la même promesse, comme il est dit dans notre capitule, & le sacerdoce ayant été transféré, & un nouveau pontife nous étant donné en la personne de J. C. il s’ensuit de là qu’il étoit nécessaire qu’on nous donnât aussi une nouvelle loi, & qu’elle abrogeât l’ancienne quant aux préceptes mystiques & aux cérémonies légales dont il est fait mention dans ces capit. iij. & v. omis par Raimond. Enfin il est repréhensible pour avoir altéré les decrétales qu’il rapporte, en y faisant des additions : ce qui leur donne un sens différent de celui qu’elles ont dans leur source primitive. Nous nous servirons pour exemple du c. j. extra de judiciis où Raimond ajoûte cette clause, donec satisfactione proemissâ fuerit absolutus, laquelle ne se trouve ni dans le canon 87 du code d’Afrique d’où originairement la decrétale est tirée, ni dans l’ancienne collection, & qui donne au canon un sens tout-à-fait différent. On lit dans le canon même & dans l’ancienne collection : nullus eidem Quod-vult-deo communicet, donec causa ejus qualem potuerit, terminum sumat ; ces paroles font assez connoître le droit qui étoit autrefois en vigueur, comme le remarque très-bien M. Cujas sur ce capitule. Dans ces tems-là on n’accordoit à qui que ce soit l’absolution d’une excommunication, qu’on n’eût instruit juridiquement le crime dont il étoit accusé, & qu’on n’eût entierement terminé la procédure. Mais dans les siecles postérieurs, l’usage s’est établi d’absoudre l’excommunié qui étoit contumacé, aussi-tôt qu’il avoit satisfait, c’est-à-dire donné caution de se représenter en jugement, quoique l’affaire n’eût point encore été discutée au fond ; & c’est pour concilier cet ancien canon avec la discipline de son tems, que Raimond en a changé les termes. Nous nous contentons de citer quelques exemples des imperfections qui se rencontrent dans la collection de Grégoire IX. mais nous observerons que dans les éditions récentes de cette collection, on a ajoûté en caracteres italiques ce qui avoit été retranché par Raimond, & ce qu’il étoit indispensable de rapporter pour bien entendre l’espece du capitule. Ces additions, qu’on a appellées depuis dans les écoles pars decisa, ont été faites par Antoine le Conte, François Pegna Espagnol, & dans l’édition romaine : il faut avoüer néanmoins qu’on ne les a pas faites dans tous les endroits nécessaires, & qu’il reste encore beaucoup de choses à desirer ; d’où il résulte que nonobstant ces supplémens, il est très-avantageux non-seulement de recourir aux anciennes decrétales, mais même de remonter jusqu’aux premieres sources, puisque les anciennes collections se trouvent souvent elles-mêmes mutilées, & que les monumens apocryphes y sont confondus avec ceux qui sont authentiques : telle est en effet la méthode dont MM. Cujas, Florent, Jean de la Coste, & sur-tout Antoine Augustin dans ses