Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les délits ne doivent point demeurer impunis ; il est du devoir des juges d’informer des délits publics, dont la vengeance est réservée au ministere public. La peine doit être proportionnée au délit ; & les particuliers ne peuvent point poursuivre la peine d’un délit, mais seulement la réparation civile & pécuniaire.

On dit communément qu’il n’y a point de compensation en matiere de délits ; ce qui doit s’entendre quant à la peine afflictive qui est dûe pour la vindicte publique, mais non quant aux peines pécuniaires & aux dommages & intérêts qui en peuvent résulter. Il y a même certains délits privés qui peuvent se compenser ; par exemple, la négligence ou le dol commis réciproquement par des associés, liv. II. ff. de compens. & liv. XXXVI. ff. dolo malo. Il en est de même des injures & autres délits légers qui ne méritent point la peine afflictive, on les compense ordinairement en mettant les parties hors de cour.

Le délit n’est point excusé sous prétexte de colere ou de premier mouvement, ni sous prétexte d’exemple ou de coûtume ; l’erreur même ne peut l’excuser que dans les cas où il n’y a point de délit sans dol.

Il y a certains délits dont l’action est annale, tels que les injures.

La peine des autres délits en général se prescrivoit autrefois par dix ans suivant le droit du digeste ; mais par le droit du code, auquel notre usage est à ces égards conforme, il faut présentement vingt années.

La poursuite du délit est éteinte par la mort naturelle du coupable, quant à la peine, mais non quant aux réparations pécuniaires.

Il y a même certains délits graves que la mort n’éteint point, tels que le crime de lése-majesté divine & humaine, le duel, l’homicide de soi-même, la rébellion à justice à force armée. (A)

Délit d’animaux, est de deux sortes ; savoir le dommage qu’ils peuvent causer à autrui en blessant quelqu’un, ce que les Romains appelloient pauperiem facere ; & le dommage qu’ils peuvent faire en paissant sur l’héritage d’autrui, soit dans des grains ou dans des bois en défense, ce que les Romains appelloient depastionem. Chez les Romains le maître du bétail qui avoit commis le délit en étoit quitte en abandonnant la bête à celui qui avoit souffert le dommage. Parmi nous le maître est obligé de réparer le dommage, lorsqu’il y a de sa part du dol ou de la négligence. Voyez au digeste, liv. IX. tit. j. & aux instit. tit. si quadrupes. (A)

Délit capital ou Crime capital, est celui qui mérite peine de mort : on dit plus ordinairement un crime capital. Voyez au mot Crime. (A)

Délit commis ou commun. La coûtume d’Angoumois, ch. j. art. 23. dit que le clerc pour le délit commis sera renvoyé pardevant son ordinaire. Voyez la note de M. Angevin sur cet article, dans le coûtumier général. (A)

Délit commun, ne signifie pas un délit qui se commet fréquemment, mais un délit ordinaire & non privilégié, c’est-à-dire qui n’est point d’une nature particuliere, & dont la connoissance n’appartient point au juge par privilége, mais de droit commun.

Ce terme délit commun est opposé à délit privilégié, c’est-à-dire dont la connoissance appartient au juge par privilége.

Ces termes sont usités lorsqu’il s’agit de délits commis par des ecclésiastiques. On distingue le délit commun & le délit ou cas privilégié, pour régler la compétence du juge d’église & celle du juge séculier ; la connoissance du délit commun appartient au

juge d’église, & celle du délit privilégié au juge royal.

Telles sont les notions vulgaires que l’on a de ces termes délit commun & délit privilégié ; mais pour bien entendre leur véritable signification & l’abus que l’on en a fait, il faut remonter jusqu’à l’origine de la distinction du délit commun & du cas privilégié.

On appelloit délits communs, chez les Romains, tous ceux dont la punition appartenoit aux juges ordinaires ; & délits propres à une certaine profession, ceux qui étoient commis contre les devoirs de cette profession.

Ainsi pour les gens de guerre on appelloit délits communs, ceux dont la vengeance étoit reglée par les lois communes à tous les autres hommes ; & délits propres ceux qui étoient contre les devoirs du service militaire, comme d’avoir quitté son poste.

On peut appliquer aux ecclésiastiques la même distinction, d’autant mieux que les lois romaines les appellent la milice sacrée.

Ce n’est pas ici le lieu de traiter de la jurisdiction ecclésiastique en général ; cependant pour l’éclaircissement de ces termes, délits communs & cas privilégiés, on ne peut s’empêcher de remonter jusqu’aux premiers siecles de l’Eglise, pour voir de quelles causes les juges d’église ont connu selon les différens tems.

Dans la primitive église où les ecclésiastiques n’avoient point de jurisdiction extérieure contentieuse, les prêtres & les diacres concilioient charitablement les différends qui s’élevoient entre les fideles, lesquels se faisoient un scrupule de recourir à des juges payens ; ce qui n’empêchoit pas que les Chrétiens, & même les ecclésiastiques, ne fussent soûmis à la justice séculiere.

Constantin fut le premier qui fit un reglement entre les officiers ecclésiastiques & les séculiers ; il ordonna que les causes légeres & celles qui concernoient la discipline ecclésiastique, se traiteroient dans les assemblées synodales, qu’à l’égard des causes ecclésiastiques, l’évêque en seroit juge entre ecclésiastiques, qu’en fait de crimes les ecclésiastiques seroient jugés par les évêques, excepté pour les crimes graves dont la connoissance étoit réservée aux juges séculiers ; ce qui s’observoit même pour les évêques accusés. On distinguoit à leur égard, de même que pour les autres ecclésiastiques, le délit civil & commun, d’avec celui que l’on appelloit ecclésiastique.

Cette distinction des délits communs d’avec les délits ecclésiastiques, fut observée dans le jugement d’Athanase évêque d’Alexandrie : il étoit accusé par deux évêques ariens d’avoir conspiré contre l’empereur Constantin ; il étoit aussi accusé d’un homicide, & d’avoir voulu violer son hôtesse : l’empereur le renvoya pour ces crimes devant des juges séculiers qui l’interrogerent. Mais lorsqu’il fut accusé d’avoir rompu des calices, d’avoir malversé dans la visite de ses églises, & d’avoir usé de violence envers les prêtres de son diocèse, il fut renvoyé au synode assemblé à Tyr.

Le même ordre fut observé sous les empereurs Constans & Constantius. En effet Etienne évêque d’Antioche, qui étoit arien, ayant fait un complot contre les ambassadeurs de Constans, ils demanderent à l’empereur que le procès fût fait à cet évêque ; & celui-ci ayant demandé son renvoi au synode des évêques, on lui soûtint qu’étant accusé de crimes capitaux, il devoit être jugé en cour séculiere ; ce qui fut ainsi ordonné.

Il est vrai que les mêmes empereurs accorderent par faveur spéciale aux évêques, de ne pouvoir pour quelque crime que ce fût être jugés que par les