Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/820

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les provinces de Bourgogne, Bourbonnois, Nivernois, Normandie, & sur-tout en Bretagne.

Les démissions ne se pratiquent guere que de la part des pere, mere, & autres ascendans en faveur de leurs enfans & petits-enfans, & sur-tout entre les gens de la campagne & autres d’un état très-médiocre.

On ne peut pas regarder la démission comme une véritable donation entre-vifs, attendu qu’elle est révocable jusqu’à la mort, du moins dans la plûpart des parlemens où elle est usitée.

Elle peut bien être regardée, par rapport au démettant, comme une disposition de derniere volonté faite intuitu mortis, & semblable à cette espece de donation à cause de mort, dont il est parlé dans la loi seconde, au digeste de mortis causâ donat. cependant la démission n’est pas une véritable donation à cause de mort ; car, outre qu’elle n’est point sujette aux formalités des testamens, quoiqu’elle soit révocable, elle a un effet présent, sinon pour la possession, au moins pour la propriété.

On doit donc plûtôt la mettre dans la classe des contrats innommés do ut des, puisque le démettant met toûjours quelques conditions à l’abandonnement général qu’il fait de ses biens, attendu qu’il faut bien qu’il se réserve sa subsistance de façon ou d’autre, soit par une réserve d’usufruit, ou d’une pension viagere, ou en stipulant que ses enfans seront tenus de le loger, nourrir & entretenir sa vie durant.

Les conditions nécessaires pour la validité d’une démission, sont :

1°. Le consentement de toutes les parties, & l’acceptation expresse des démissionnaires ; car on n’est point forcé d’accepter une démission, non plus qu’une succession.

2°. Il faut qu’elle soit en faveur des héritiers présomptifs, sans en excepter aucun de ceux qui sont en degré de succéder, soit de leur chef, ou par représentation.

3°. Si la démission contient un partage, il faut qu’il soit entierement conforme à la loi.

4°. Que la démission soit universelle comme le droit d’hérédité : le démettant peut néanmoins se réserver quelques meubles pour son usage, même la faculté de disposer de quelques effets, pourvû que ce qui est réservé soit fixe & certain.

5°. Que la démission soit faite à titre universel, & non à titre singulier ; c’est-à-dire, que si l’ascendant donnoit seulement tels & tels biens nommément, sans donner tous ses biens en général, ce ne seroit pas une démission.

6°. La démission doit avoir un effet présent, soit pour la propriété ou pour la possession, tant que la démission n’est point révoquée.

Quand le démettant est taillable, & veut se faire décharger de la taille qu’il payoit pour raison des biens dont il s’est démis, il faut que la démission soit passée devant notaires, qu’elle soit publiée à la porte de l’église paroissiale un jour de dimanche ou fête, les paroissiens sortant en grand nombre ; que l’acte de démission soit ensuite homologué en l’élection dont le lieu du domicile dépend ; que cet acte & la sentence d’homologation soient signifiés à l’issue de la messe de paroisse, un jour de dimanche ou fête, en parlant à cinq ou six habitans, & au syndic ou marguillier de la paroisse à qui la copie doit en être laissée ; enfin, que le démettant réitere cette signification avant la confection du rôle.

Au moyen de ces formalités, le démettant ne doit plus être imposé à la taille que dans la classe des invalides & gens sans bien ; & ce qu’il payoit de plus auparavant, doit être rejetté sur les démissionnaires

s’ils sont demeurans dans la paroisse, sinon les habitans peuvent demander une diminution.

La démission proprement dite, est de sa nature toûjours révocable jusqu’à la mort, quelque espace de tems qui se soit écoulé depuis la démission, & quand même les biens auroient déja fait souche entre les mains des démissionnaires & de leurs représentans ; ce qui a été ainsi établi, afin que ceux qui se seroient dépouillés trop légerement de la totalité de leurs biens pussent y rentrer, supposé qu’ils eussent lieu de se repentir de leur disposition, comme il arrive souvent, & c’est sans doute pourquoi l’Ecriture semble ne pas approuver que les pere & mere se dépouillent ainsi totalement de leurs biens de leur vivant : melius est ut quam te rogont, quam te recipere in manus siliorum tuorum. Eccles. cap. xxiij. v° 22. In tempore exitus tui distribue hæreditatem tuam. Ibidem, v°. 24.

On excepte néanmoins les démissions faites par contrat de mariage, qui sont irrévocables, comme les donations entre-vifs.

La démission faite à un collatéral est révoquée de plein droit par la survenance d’un enfant légitime du démettant, suivant la loi 8. au code de rev. donat.

Quand la démission est faite en directe, la survenance d’enfant n’a d’autre effet, sinon que l’enfant qui est survenu est admis à partage avec les autres enfans démissionnaires.

La révocation de la démission a un effet rétroactif, & fait que la démission est regardée comme non-avenue, tellement que toutes les dispositions, aliénations & hypotheques que les démissionnaires auroient pû faire, sont annullées.

Lorsqu’un des démissionnaires vient à décéder du vivant du démettant, la démission devient caduque à son égard, à moins qu’il n’ait des enfans ou petits-enfans habiles à le représenter ; s’il n’en a point, sa part accroît aux autres démissionnaires.

Il est libre aux démissionnaires de renoncer à la succession du démettant, & par ce moyen ils ne sont point tenus des dettes créées depuis la démission ; ils peuvent aussi accepter la succession par bénéfice d’inventaire, pour n’être tenus de ces dettes que jusqu’à concurrence de ce qu’ils amendent de la succession.

En Bretagne on suit des principes particuliers pour les démissions de biens ; elles n’y sont permises qu’en faveur de l’héritier principal & noble, & non entre roturiers. On y peut faire une démission d’une partie de ses biens seulement. Les démissions doivent être bannies & publiées en la maniere prescrite par l’art. 537. ce qui n’est nécessaire néanmoins que par rapport aux créanciers. Les démissions y sont tellement irrévocables, que si le démettant se marie, les biens dont il s’est démis ne sont pas sujets au doüaire. Enfin les droits seigneuriaux ne sont acquis au seigneur qu’au tems de la mort du démettant.

Voyez les questions sur les démissions de biens par M. Boulenois. Dargentré, sur la coût. de Bretagne, art. 537. 560. & 577. Perchambaut, sur le tit. xxiij. §. 9. Frain, plaid. 87. Devolant, acte de notoriété de 1695. Durail, liv. III. ch. xl. Ricard, des donations, n. 994. & 1150. Dupineau, liv. VI. de ses arrêts, ch. xviij. Le Brun, des successions, liv. I. ch. j. sect. 5. & liv. II. ch. iij. sect. I. n. 7. Auzanet & Ferrieres sur les art. 274. & 277. de la coûtume de Paris. Bardet, tome II. liv. VIII. ch. xxiij. Journ. des aud. t. I. liv. IV. ch. xxij. & liv. V. chap. v. & xvj. Journ. du palais, arrêt du 17. Mars 1671. La coûtume du Nivernois, tit. des success. art. 17. celle du Bourbonnois, art. 216. celle de Bourgogne, tit. des successions, art. 8. Basnage sur les articles 252, 434. & 448. de la coût. de Normandie. (A)