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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/844

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que les intervalles des feuilles dont la dent est composée, ce qui rend ces dents plus propres à moudre & à broyer que si elles étoient parfaitement polies ; de même que l’on a soin d’entretenir des inégalités dans les meules de moulin, en les piquant de tems en tems ; comme ces trous pénetrent assez avant dans la dent, ils ont toûjours assez de profondeur pour entretenir ces inégalités, quoique la dent s’use un peu.

La structure des dents de l’homme fait connoître qu’il peut vivre de toutes sortes d’alimens ; il y a à chaque mâchoire quatre incisives, deux canines, & dix molaires. Ses incisives sont taillées en biseau, & elles sont tranchantes comme celles des animaux carnaciers, pour déchirer & couper les viandes.

Ses dents canines sont plus rondes, plus épaisses, & plus solides que les incisives ; leur extrémité est taillée en pointe, & leurs racines sont un peu plus longues & enchâssées plus avant dans celles des incisives.

Les dents canines des animaux sont beaucoup plus longues que leurs incisives : elles passent ordinairement les unes à côté des autres ; & il y a dans chaque mâchoire des espaces vuides pour en loger les bouts, ce qui n’est pas ainsi dans l’homme ; cependant la figure des dents canines de l’homme les rend très-propres à percer & à ronger les corps durs ; d’où vient que l’on porte naturellement sous ces dents les os qu’on veut ronger & le corps qu’on veut percer : & en cela l’homme tient encore des animaux carnaciers.

Les molaires dans l’homme sont plates & quarrées : leurs bases ont des éminences & des cavités qui sont reçues les unes dans les autres quand les mâchoires sont fermées ; & la mâchoire ayant ses appuis formés de têtes plates enchassées dans des cavités presque rondes & fort larges, elle a la liberté de remuer en tous sens : en tout cela l’homme ressemble aux animaux qui vivent de grain & d’herbe.

Cette articulation permet aussi aux dents incisives de rencontrer tantôt à la maniere des tenailles, & tantôt à la maniere des ciseaux, les dents d’en-bas pouvant aisément couler sous celles d’en-haut, & pouvant aussi passer un peu par-dessus ; & en cela l’homme ressemble aux animaux qui rongent les fruits & les racines.

Le singe est celui de tous les animaux dont les visceres & toutes les parties intérieures approchent le plus de celles de l’homme ; c’est aussi celui dont les dents sont le plus semblables à celles de l’homme : il a quatre incisives à chaque mâchoire comme l’homme, & il a de même les dents plates & quarrées ; aussi mange-t-il de toute sorte d’alimens de même que l’homme. Pour ce qui est des canines dans la plûpart des singes, elles sont longues en maniere de défenses, & il y a des espaces vuides en chaque mâchoire pour les loger ; en quoi le singe ressemble aux animaux carnaciers. Cependant M. Duverney a fait voir quelques têtes de singes dont les dents canines n’étoient pas plus longues que les incisives, y ayant seulement dans chaque mâchoire des espaces vuides pour les loger : il a encore montré la tête d’un petit singe, où les dents canines étoient rangées & disposées comme à l’homme.

Les mâchoires de l’éléphant n’ont point de dents incisives ni de canines : elles ont deux molaires de chaque côté : la base par où ces dents se touchent en mâchant est fort large ; elle est aussi très-égale & très lisse, parce que ces dents s’usent par leur frottement mutuel. Chaque dent paroît composée de plusieurs feuilles de substance blanche, qui sont collées & jointes ensemble par une matiere grisâtre ; elles sont de grandeur différente à la mâchoire d’en-haut : celles

de devant sont les plus longues, au lieu qu’à la mâchoire d’en-bas les plus longues sont celles de derriere. Dans la mâchoire de l’éléphant dissequée par MM. de l’académie royale des Sciences, lequel avoit environ dix-sept ans, on a trouvé les germes des dents qui devoient repousser. La mâchoire inférieure de cet animal est fort pesante, & beaucoup plus courte que la supérieure.

Les défenses de l’éléphant sont appellées dents par quelques auteurs ; mais on peut dire que l’origine & la situation de ces défenses décident la question & ne laissent aucun doute sur ce sujet ; car l’os dont elles sortent est distinct & séparé de celui d’où sortent les véritables dents : leur substance a aussi beaucoup plus de rapport à celle des cornes qu’à celle des dents ; car l’ivoire qui n’est autre chose que les défenses de l’éléphant, est aisé à couper & à travailler, & il s’amollit au feu de même que la corne ; au lieu que les dents ne s’amollissent point au feu, & qu’elles sont d’une si grande dureté que les burins les plus tranchans n’y sauroient mordre : le seul rapport que ces défenses ont avec les dents, est qu’elles se nourrissent de la même maniere.

L’éléphant prend sa nourriture d’une maniere qui lui est particuliere.

L’homme se sert de ses mains pour porter les alimens à sa bouche ; & les animaux à quatre piés se servent pour le même usage, ou de leurs levres, ou de leur langue, ou de leurs piés de devant : pour ce qui est de la boisson, l’homme pour la prendre se sert de ses mains ; les chiens se servent de leur langues ; les oiseaux de leur bec : mais les chevaux & les anes la tirent en suçant. L’éléphant ne prend rien immédiatement avec sa bouche, si ce n’est qu’on y jette quelque chose quand elle est ouverte ; il se sert seulement de sa trompe qui lui tient lieu de main, & même, pour ainsi dire, de gobelet ; car c’est par le moyen d’un rebord, en forme de petit doigt, qui est à l’extrémité de sa trompe, qu’il fait tout ce qu’on peut faire avec la main : il dénoue des cordes, il prend avec adresse les choses les plus petites, & il en enleve de fort pesantes quand il peut y appliquer ce rebord qui s’y attache fermement par la force de l’air que l’éléphant attire par sa trompe. C’est aussi en attirant l’air qu’il fait entrer sa boisson dans la cavité de sa trompe qui contient environ un demi-seau ; ensuite recourbant en dessous l’extrémité de sa trompe, il la met fort avant dans sa bouche, & il y fait passer la liqueur que la trompe contient, la poussant à l’aide du souffle de la même haleine qui l’a attirée ; aussi quand il prend l’herbe, dont il se nourrit, de même que de grain & de fruit, il l’arrache avec sa trompe, & il en fait des paquets qu’il fourre bien avant dans sa bouche.

Cette maniere si singuliere de prendre la nourriture est fondée sur la structure de la trompe & sur celle du nez. La trompe a tout de son long dans le milieu deux conduits qui vont en s’élargissant vers sa racine, afin que la liqueur qui y est contenue soit poussée dehors avec plus de force par le souffle de l’haleine, le retrécissement que ces conduits ont vers leur sortie augmentant ce mouvement : ces conduits sont environnés de fibres charnues qui forment diverses couches, & qui servent à l’alongement, à l’accourcissement, & aux différentes inflexions de la trompe : ils sont comme deux narines prolongées qui s’ouvrent dans les deux cavités du crane, où sont enfermés les organes immédiats de l’odorat, & qui sont situées vers la racine de cette trompe. De-là il est aisé de voir que l’usage de ces conduits est de donner passage à l’air pour la respiration & pour l’odorat, & de recevoir la boisson pour la porter dans la bouche de l’éléphant par