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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/968

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comme un z ; que le second indique un d, & se prononce comme un t ; que le troisieme indique un t, & se prononce de même, &c. Ainsi notre façon d’écrire pourroit être plus réguliere, mais elle seroit encore plus incommode. Enfin la derniere raison de l’impossibilité d’une réforme exacte & rigoureuse de l’orthographe, c’est que si on prenoit ce parti il n’y auroit point de livre qu’on pût lire, tant l’écriture des mots y différeroit à l’œil de ce qu’elle est ordinairement. La lecture des livres anciens qu’on ne réimprimeroit pas, deviendroit un travail ; & dans ceux même qu’on réimprimeroit, il seroit presque aussi nécessaire de conserver l’orthographe que le style, comme on conserve encore l’orthographe surannée des vieux livres, pour montrer à ceux qui les lisent les changemens arrivés dans cette orthographe & dans notre prononciation.

Cette différence entre notre maniere de lire & d’écrire, différence si bisarre & à laquelle il n’est plus tems aujourd’hui de remédier, vient de deux causes ; de ce que notre langue est un idiome qui a été formé sans regle de plusieurs idiomes mêlés, & de ce que cette langue ayant commencé par être barbare, on a tâché ensuite de la rendre réguliere & douce. Les mots tirés des autres langues ont été défigurés en passant dans la nôtre ; ensuite quand la langue s’est formée & qu’on a commencé à l’écrire, on a voulu rendre à ces mots par l’orthographe une partie de leur analogie avec les langues qui les avoient fournis, analogie qui s’étoit perdue ou altérée dans la prononciation : à l’égard de celle-ci, on ne pouvoit guere la changer ; on s’est contenté de l’adoucir, & de-là est venue une seconde différence entre la prononciation & l’orthographe étymologique. C’est cette différence qui fait prononcer l’s de tems comme un z, le d de tend comme un t, & ainsi du reste. Quoi qu’il en soit, & quelque réforme que notre langue subisse ou ne subisse pas à cet égard, un bon dictionnaire de langues n’en doit pas moins tenir compte de la différence entre l’orthographe & la prononciation, & des variétés qui se rencontrent dans la prononciation même. On aura soin de plus, lorsqu’un mot aura plusieurs orthographes reçues, de tenir compte de toutes ces différentes orthographes, & d’en faire même différens articles avec un renvoi à l’article principal : cet article principal doit être celui dont l’orthographe paroîtra la plus réguliere, soit par rapport à la prononciation, soit par rapport à l’étymologie ; ce qui dépend de l’auteur. Par exemple, les mots tems & temps sont aujourd’hui à-peu-près également en usage dans l’orthographe ; le premier est un peu plus conforme à la prononciation, le second à l’étymologie : c’est à l’auteur du dictionnaire de choisir lequel des deux il prendra pour l’article principal ; mais si par exemple il choisit temps, il faudra un article tems avec un renvoi à temps. A l’égard des mots où l’orthographe étymologique & la prononciation sont d’accord, comme savoir & savant qui viennent de sapere & non de scire, on doit les écrire ainsi : néanmoins comme l’orthographe sçavoir & sçavant, est encore assez en usage, il faudra faire des renvois de ces articles. Il faut de même user de renvois pour la commodité du lecteur, dans certains noms venus du grec par étymologie : ainsi il doit y avoir un renvoi d’antropomorphite à anthropomorphite ; car quoique cette derniere façon d’écrire soit plus conforme à l’étymologie, un grand nombre de lecteurs chercheroient le mot écrit de la premiere façon ; & ne s’avisant peut-être pas de l’autre, croiroient cet article oublié. Mais il faut surtout se souvenir de deux choses : 1°. de suivre dans tout l’ouvrage l’orthographe principale, adoptée pour chaque mot : 2°. de suivre un plan

uniforme par rapport à l’orthographe, considérée relativement à la prononciation, c’est-à-dire de faire toûjours prévaloir (dans les mots dont l’orthographe n’est pas universellement la même) ou l’orthographe à la prononciation, ou celle-ci à l’orthographe.

Il seroit encore à propos, pour rendre un tel ouvrage plus utile aux étrangers, de joindre à chaque mot la maniere dont il devroit se prononcer suivant l’orthographe des autres nations. Exemple. On sait que les Italiens prononcent u & les Anglois w, comme nous prononçons ou, &c. ainsi au mot ou d’un dictionnaire, on pourroit dire : les Italiens prononcent ainsi l’u, & les Anglois l’w ; ou, ce qui seroit encore plus précis, on pourroit joindre à ou les lettres u & w, en marquant que toutes ces syllabes se prononcent comme ou, la premiere à Rome, la seconde à Londres : par ce moyen les étrangers & les François apprendroient plus aisément la prononciation de leurs langues réciproques. Mais un tel objet bien rempli, supposeroit peut-être une connoissance exacte & rigoureuse de la prononciation de toutes les langues, ce qui est physiquement impossible ; il supposeroit du moins un commerce assidu & raisonné avec des étrangers de toutes les nations qui parlassent bien : deux circonstances qu’il est encore fort difficile de réunir. Ainsi ce que je propose est plûtôt une vûe pour rendre un dictionnaire parfaitement complet, qu’un projet dont on puisse espérer la parfaite exécution. Ajoûtons néanmoins (puisque nous nous bornons ici à ce qui est simplement possible) qu’on ne feroit pas mal de former au commencement du dictionnaire une espece d’alphabet universel, composé de tous les véritables sons simples, tant voyelles que consonnes, & de se servir de cet alphabet pour indiquer non-seulement la prononciation dans notre langue, mais encore dans les autres, en y joignant pourtant l’orthographe usuelle dans toutes. Ainsi je suppose qu’on se servît d’un caractere particulier pour marquer la voyelle ou (car ce son est une voyelle, puisque c’est un son simple) on pourroit joindre aux syllabes ou, u, w, &c. ce caractere particulier, que toutes les langues feroient bien d’adopter. Mais le projet d’un alphabet & d’une orthographe universelle, quelque raisonnable qu’il soit en lui-même, est aussi impossible aujourd’hui dans l’exécution que celui d’une langue & d’une écriture universelle. Les philosophes de chaque nation seroient peut-être inconciliables là-dessus : que seroit-ce s’il falloit concilier des nations entieres ?

Ce que nous venons de dire de l’orthographe nous conduit à parler des étymologies, voyez ce mot. Un bon dictionnaire de langues ne doit pas les négliger, sur-tout dans les mots qui viennent du grec ou du latin ; c’est le moyen de rappeller au lecteur les mots de ces langues, & de faire voir comment elles ont servi en partie à former la nôtre. Je crois ne devoir pas omettre ici une observation que plusieurs gens de lettres me semblent avoir faite comme moi ; c’est que la langue françoise est en général plus analogue dans ses tours avec la langue greque qu’avec la langue latine : supposé ce fait vrai, comme je le crois, quelle peut en être la raison ? c’est aux savans à la chercher. Dans un bon dictionnaire on ne feroit peut-être pas mal de marquer cette analogie par des exemples : car ces tours empruntés d’une langue pour passer dans une autre, rentrent en quelque maniere dans la classe des étymologies. Au reste, dans les étymologies qu’un dictionnaire peut donner, il faut exclure celles qui sont puériles, ou tirées de trop loin pour ne pas être douteuses, comme celle qui fait venir laquais du mot latin verna, par son dérivé vernacula. Nous avons aussi dans notre langue beaucoup de termes tirés de l’ancienne langue celtique, dont