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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/138

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expériences rapportées dans cet article, confirment encore cette théorie.

Article III. Maniere de déterminer les causes qui font varier la quantité d’eau que l’air libre tient en dissolution. « L’air de notre atmosphere ne contient pas toujours la même quantité d’eau en dissolution : deux causes principales, le vent & la chaleur, la font varier très-considérablement. Avant de passer au détail des observations que j’ai faites sur ce sujet, je dois premierement expliquer ce que j’entends par degré de saturation de l’air ; décrire l’expérience dont je me sers pour la déterminer, & reconnoître le plus ou le moins d’eau que l’air tient en dissolution.

» Nous avons démontré plus haut que l’air peut dissoudre d’autant plus d’eau, qu’il est plus chaud. Cela posé, on conçoit aisément qu’il y a en tout tems un certain degré de feu auquel l’air seroit saoulé d’eau. J’appelle ce degré, degré de saturation de l’air. Supposons, pour me rendre plus clair, que le 28 d’Août l’air de l’atmosphere tienne en dissolution une quantité d’eau telle qu’il en seroit saoulé au dixieme degré : ce jour-là l’air pourroit être refroidi jusqu’à ce degré, sans qu’il se précipitât aucune partie de l’eau qu’il tient en dissolution : refroidi à ce degré, il ne pourroit dissoudre de nouvelle eau ; refroidi au-dessous de ce degré, il lâcheroit nécessairement une partie de l’eau qu’il tenoit en dissolution ; & il en laisseroit précipiter une quantité d’autant plus grande, que le froid seroit plus fort : dans ce cas le dixieme degré sera appellé le degré de saturation de l’air. Il est clair que plus le degré de saturation est élevé, plus l’air tient d’eau en dissolution ; d’où il suit qu’en observant chaque jour le degré de saturation de l’air, examinant en même tems les circonstances du tems, on peut aisément parvenir à la connoissance des causes qui sont varier la quantité d’eau que l’air tient en dissolution. Voici l’expérience facile dont je me sers pour déterminer le degré de saturation de l’air, supposé que le degré soit au-dessus du terme de la glace.[1]

» Je prends de l’eau refroidie, au point de faire précipiter sensiblement l’eau que l’air tient en dissolution sur les parois extérieures du vaisseau dans lequel elle est contenue. Je mets de cette eau dans un grand verre bien sec, y plongeant la boule d’un thermometre, afin d’observer son degré de chaleur[2] : je la laisse échauffer d’un demi-degré, après quoi je la transporte dans un autre verre. Si a ce nouveau degré l’eau dissoute dans l’air se précipite encore sur les parois extérieures du verre, je continue de laisser échauffer l’eau de demi-degré en demi-degré, jusqu’à ce que j’aye saisi le degré au-dessus duquel il ne se précipite plus rien. Ce degré est le degré de saturation de l’air. Par exemple, le soir du 5 Octobre 1752, la chaleur de l’air étant au treizieme degré, l’eau qu’il tenoit en dissolution commençoit à se précipiter sur le verre refroidi au cinquieme degré & demi : au-dessus de ce degré, la surface extérieure du verre restoit seche ; au-dessous de ce degré, l’eau qui se précipitoit de l’air sur le verre, étoit d’autant plus consi-

dérable, que le verre étoit plus froid. Il est clair que ce jour-là le degré de saturation de l’air étoit un peu au-dessus du cinquieme degré & demi, puisque refroidi à ce degré, il commençoit à laisser précipiter une partie de l’eau qu’il tenoit en dissolution. On peut donc, au moyen de cette expérience, déterminer en différens tems le degre de saturation de l’air, & ainsi reconnoître les causes qui font varier la quantité d’eau qu’il tient en dissolution ».

Je ne dois point oublier ici de parler d’une objection qui m’a été proposée par un habile physicien, & qui au premier coup-d’œil paroît renverser la théorie que je viens de tâcher d’établir. Voici l’objection. Suivant les expériences de quelques physiciens, l’eau s’évapore dans le vuide ; elle peut donc s’élever sans le secours de l’air, sans y être soûtenue, comme je l’ai dit dans l’état de dissolution. Mais si le physicien avoit fait attention que l’eau contient une quantité immense d’air dont on ne peut la purger entiérement, & qu’elle ne peut s’évaporer sans que l’air qu’elle contient se développe, il auroit aisément remarqué que cette objection renferme un paradoxe, & qu’il est impossible qu’un espace contenant de l’eau qui s’évapore, reste parfaitement vuide d’air.

Jusqu’ici nous avons examiné quels sont les corps susceptibles d’évaporation, quelle est la nature des particules qui s’élevent dans l’air par cette voie, par quelles suppositions les Physiciens avoient tâché d’expliquer le méchanisme de l’évaporation ; enfin dans la partie du mémoire que je viens de transcrire, j’ai considéré l’état dans lequel l’eau évaporée se trouvoit suspendue en l’air ; & j’ai tâché de faire voir qu’elle y étoit suspendue dans l’état de dissolution, & que cette dissolution avoit les mêmes propriétés que celle de la plûpart des sels dans l’eau. Pour achever ce qui concerne cette matiere, il nous reste seulement a parler des causes qui accélerent ou retardent l’évaporation, & à rechercher l’utilité générale de cette propriété singuliere de la plus grande partie des corps, par laquelle ils peuvent s’élever dans l’atmosphere.

Personne n’ignore que la chaleur est la cause qui accélere le plus l’évaporation ; ainsi les corps susceptibles d’évaporation, exposés au soleil ou à l’action du feu, s’évaporent d’autant plus rapidement, qu’ils sont plus échauffés. Ces corps ne peuvent être échauffés, sans communiquer leur chaleur à l’air environnant. Cet air étant échauffé, son degré de chaleur devient plus éloigné de son degré de saturation ; il acquiert donc par-là plus d’activité à dissoudre les particules évaporables, & à s’en charger. Remarquons encore avec M. Hamberger, que l’air contigu aux corps évaporables, lorsqu’il est échauffé par l’action du feu, devient plus rare & plus leger, s’éleve & se renouvelle continuellement ; & que ce renouvellement continuel de l’air ne contribue pas peu à accélérer l’évaporation.

L’air contenu en grande quantité & sous une forme non-élastique dans l’intérieur des corps susceptibles d’évaporation, est encore un agent qui, mis en action par la chaleur, contribue à accélérer l’évaporation : c’est ce qu’on observe tous les jours dans l’éolipyle. Ce vase à demi-plein d’eau étant mis sur le feu jusqu’à ce que l’eau bouille, l’air contenu dans cette eau recouvrant par la chaleur son élasticité, s’en dégage, s’échappe avec rapidité par l’ouverture étroite de ce vaisseau, & entraîne peu-à-peu toute l’eau dans laquelle il étoit contenu. Dans ce cas il est visible que l’air extérieur ne peut point agir sur l’eau contenue dans l’éolipyle, & que l’évaporation de cette eau est entierement dûe au développement de l’air qui y étoit contenu. Voyez Eolipyle.

Le vent naturel ou artificiel accélere aussi l’évaporation

  1. « Quoiqu’au moyen de cette expérience on ne puisse déterminer le plus ou moins d’eau que l’air tient en dissolution, que pour les tems où le degré de saturation est au-dessus du terme de sa glace, je crois cependant que personne ne me contestera que les conclusions que j’en tire, ne puissent aussi s’appliquer aux tems où ce degré est au-dessous du terme de la glace. »
  2. « Pour faire cette expérience avec facilité & exactitude, on doit se servir de thermometre à esprit-de-vin, dont la boule & le tuyau soient aussi petits qu’il est possible. Les thermometres dont je me sers, sont gradués sur l’échelle de M. de Réaumur. »