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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/180

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Tout le monde convient qu’il faut nécessairement plusieurs rangs les uns derriere les autres, pour que la troupe ou le bataillon soit capable de résistance, & d’attaquer avec fermeté une troupe qu’il veut combattre. Mais cette considération ne fixe pas le nombre de ces rangs.

L’usage a beaucoup varié sur ce sujet. Chez les Grecs la phalange étoit à seize de hauteur, c’est-à-dire qu’elle avoit seize rangs de soldats (voyez Phalange) : chez les Romains, les corps particuliers d’infanterie étoient à dix de hauteur. En France, ainsi que dans le reste de l’Europe, du tems de M. de Turenne & de Montecuculli, l’infanterie étoit rangée en bataille sur huit & sur six rangs.

Ce dernier général dit dans ses mémoires, qu’il faut que l’infanterie soit à six de hauteur, afin qu’elle puisse faire un feu continuel dans l’occasion. S’il y avoit moins de six rangs, dit cet auteur celebre, le premier ne pouvoit pas avoir rechargé quand le dernier auroit tiré ; ainsi le feu ne seroit pas continuel : & si au contraire il y en avoit plus de six, le premier seroit obligé de perdre du tems, & d’attendre que les derniers eussent tiré pour recommencer.

Si le feu continuel par rangs avoit été la seule raison qui eût fait mettre l’infanterie à six de hauteur du tems de Montecuculli, on auroit dû l’arranger sur trois depuis la suppression des mousquets (voyez Mousquet), c’est-à-dire depuis environ 1704 ; car l’expérience a prouvé qu’on peut aisément tirer deux coups de fusils contre un de mousquet.

C’est pourquoi trois rangs de soldats armés de fusils, seront en état de tirer autant de coups dans le même tems, que six rangs de même nombre d’hommes armés de mousquets, c’est-à-dire de faire également un feu continuel par rangs. Mais ce petit nombre de rangs n’a pas paru suffisant pour donner de la solidité au bataillon. L’usage plûtôt que le raisonnement, semble avoir décidé depuis long tems que l’infanterie doit être en bataille sur quatre rangs. Cependant comme il y a des occasions où une plus grande profondeur est nécessaire, & que c’est au général à en juger, il paroîtroit assez naturel de s’en rapporter à lui pour la fixation du nombre de rangs sur lequel il veut combattre, & de n’avoir un ordre général que pour mettre les troupes uniformément en bataille dans toutes les occasions ordinaires.

Cette observation paroît d’autant mieux fondée, que la plûpart des évolutions dont on va donner le détail, consistent à augmenter & à diminuer le front & la profondeur du bataillon ; ce qui suppose que le nombre des rangs sur lesquels on met une troupe en bataille n’est jamais fixé invariablement.

On peut répondre à cela, que l’objet de ces évolutions est principalement de faire marcher les troupes dans toutes sortes de passages & de défilés, & pour cet effet de réduire leur front ordinaire à la largeur du lieu où elles doivent passer, ce qui ne peut se faire qu’en augmentant le nombre des rangs de la troupe, &c. Mais il y a un grand nombre d’autres circonstances à la guerre, où la profondeur du bataillon doit varier ; comme, par exemple, dans l’attaque des postes, des retranchemens ; lorsqu’il s’agit de rompre une troupe, de forcer un passage, &c. Dans ces occasions, il est clair que les troupes doivent avoir plus de profondeur que lorsqu’elles se bornent à se fusiller ou à se passer réciproquement par les armes ; car dans ce dernier cas leur trop de hauteur peut nuire, & nuit effectivement à la célérité & à la sûreté de leur feu. Voyez Emboîtement.

Il suit de ces différentes observations, que peut-être seroit-il avantageux d’avoir deux ordres de bataille différens ; savoir, l’un pour paroître dans les

revûes & pour tirer, & l’autre pour charger la bayonnette au bout du fusil.

Dans le premier, il seroit suffisant de mettre les troupes à trois de hauteur conformément à l’instruction du 14 Mai 1754, qui porte : que toutes les fois que l’infanterie prendra les armes, pour quelqu’occasion que ce soit, elle soit formée sur trois rangs.

Dans le second ordre on pourroit, en suivant la même instruction, mettre les troupes sur six rangs, ainsi qu’elle le prescrit lorsqu’il s’agit de les exercer aux évolutions.

L’ordre de bataille sur six rangs, qui étoit en usage du tems de M. de Turenne, comme nous l’avons déjà observé, est sans doute meilleur pour charger l’ennemi que celui de quatre rangs. Cependant comme ce dernier est le plus généralement établi par l’usage, & qu’il tient d’ailleurs une espece de milieu entre les deux ordres de trois & de six rangs dont on vient de parler, ce sera celui dont on se servira dans cet article, où l’on trouvera d’ailleurs les regles nécessaires pour le changer comme on voudra, c’est-à dire pour mettre une troupe qui est en bataille sur quatre rangs, sur un plus grand ou un plus petit nombre de rangs.

Après ces notions générales sur l’arrangement & la formation des troupes, nous allons entrer dans le détail des principales motions ou évolutions du bataillon : mais nous observerons auparavant qu’elles peuvent être considérées de trois manieres différentes.

1°. En mouvemens qui s’exécutent homme par homme.

2°. En mouvemens qui se font par tout le bataillon ensemble.

Et 3°. en mouvemens qui s’exécutent par différentes parties ou divisions du bataillon.

Les mouvemens qui s’exécutent homme par homme, sont ceux que les hommes qui composent le bataillon font chacun en particulier, indépendamment les uns des autres. Ils se meuvent néanmoins tous ensemble, de la même maniere & dans le même tems ; mais chacun exécute son mouvement en entier, sans considérer celui de son camarade que pour le faire uniformément avec lui.

Les mouvemens qui se font par tout le bataillon ensemble, sont ceux dans lesquels on le considere comme un corps solide ou un seul tout, dont toutes les parties se meuvent par un mouvement commun. Chaque homme n’agit alors que comme partie du tout, en suivant le mouvement ou la détermination générale de tout le bataillon.

Enfin les mouvemens par parties ou par divisions, sont ceux dans lesquels chaque division se meut avec les hommes qui la composent, comme dans les mouvemens de la troupe entiere ; & cela sans considérer le mouvement particulier des autres parties que pour agir uniformément avec elles lorsqu’elles se meuvent toutes du même sens ou de la même maniere.

Article II.

Du mouvement d’homme par homme. Le mouvement d’homme par homme a pour objet de faire trouver la face du bataillon de tel côté que l’on veut, sans lui faire changer de terrein, ce qui sert à le faire marcher vers la droite ou vers la gauche, ou en-arriere.

Ce mouvement peut s’exécuter également, les files & les rangs étant serrés ou ouverts.

Nous supposerons sur les Planches, que les files & les rangs sont serrés ; & afin que les figures occupent moins d’espace, nous prendrons une partie du bataillon pour la représentation du bataillon entier.

Soit donc (fig. 1. Pl. I. des évolutions) le bataillon ABCD, ou une de ses parties quelconque, rangée en bataille sur quatre rangs ; les soldats sont marqués