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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/233

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a été transmise par une tradition non interrompue depuis Hénoch jusqu’aujourd’hui. Selden, liv. IV. ch. vij. de jure natur. & gent. nous a conservé cette formule d’excommunication, qui est fort longue, & porte avec elle des caracteres évidens de supposition. Il y est parlé de Moyse, de Josué, d’Elisée, de Giezi, de Rarac, de Meroz, de la grande synagogue, des anges qui président à chaque mois de l’année, des livres de la loi, des 390 préceptes qui y sont contenus, &c. toutes choses qui prouvent que si Hénoch en est le premier auteur, ceux qui sont venus après lui y ont fait beaucoup d’additions.

Quant à l’absolution de l’excommunication, elle pouvoit être donnée par celui qui avoit prononcé l’excommunication, pourvû que l’excommunié fût touché de repentir, & qu’il en donnât des marques sinceres. On ne pouvoit absoudre que présent celui qui avoit été excommunié présent. Celui qui avoit été excommunié par un particulier, pouvoit être absous par trois hommes à son choix, ou par un seul juge public. Celui qui s’étoit excommunié soi-même, ne pouvoit s’absoudre soi-même, à moins qu’il ne fût éminent en science ou disciple d’un sage ; hors ce cas, il ne pouvoit recevoir son absolution que de dix personnes choisies du milieu du peuple. Celui qui avoit été excommunié en songe, devoit encore employer plus de cérémonies : il falloit dix personnes savantes dans la loi & dans la science du talmud ; s’il ne s’en trouvoit autant dans le lieu de sa demeure, il devoit en chercher dans l’étendue de quatre mille pas ; s’il ne s’y en rencontroit point assez, il pouvoit prendre dix hommes qui sûssent lire dans le Pentateuque ; ou, à leur défaut, dix hommes, ou tout au moins trois. Dans l’excommunication encourue pour cause d’offense, le coupable ne pouvoit être absous que la partie lésée ne fût satisfaite : si par hasard elle étoit morte, l’excommunié devoit se faire absoudre par trois hommes choisis, ou par le prince du sanhédrin. Enfin c’est à ce dernier qu’il appartient d’absoudre de l’excommunication prononcée par un inconnu. Sur l’excommunication des Juifs on peut consulter l’ouvrage de Selden, de Synedrüs ; Drusius, de novem sect. lib. III. c. xj. Buxtorf, epist. hebr. le P. Morin, de pœnit. la continuat. de l’hist. des Juifs, par M. Basnage ; la dissertation de dom Calmet sur les supplices des Juifs ; & son dictionnaire de la Bible, au mot Excommunication.

Les Chrétiens dont la société doit être, suivant l’institution de Jesus-Christ, très-pure dans la foi & dans les mœurs, ont toûjours eu grand soin de séparer de leur communion les hérétiques & les personnes coupables de crimes. Relativement à ces deux objets, on distinguoit dans la primitive Église l’excommunication médicinale de l’excommunication mortelle. On usoit de la premiere envers les pénitens que l’on séparoit de la communion, jusqu’à ce qu’ils eussent satisfait à la pénitence qui leur étoit imposée. La seconde étoit portée contre les hérétiques, & les pécheurs impénitens & rebelles à l’Église. C’est à cette derniere sorte d’excommunication que se rapportera tout ce qui nous reste à dire dans cet article. Quant à l’excommunication médicinale, voyez Pénitence & Pénitens.

L’excommunication mortelle en général est une censure ecclésiastique qui prive un fidele en tout, ou en partie, du droit qu’il a sur les biens communs de l’Église, pour le punir d’avoir desobéi à l’Église dans une matiere grave. Depuis les decrétales, on a distingué deux especes d’excommunication ; l’une majeure, & l’autre mineure. La majeure est proprement celle dont on vient de voir la définition, par laquelle un fidele est retranché du corps de l’Église, jusqu’à ce qu’il ait mérité par sa pénitence d’y rentrer. L’excommunication mineure est celle qui s’en-

court par la communication avec un excommunié d’une excommunication majeure, qui a été légitimement dénoncée. L’effet de cette derniere excommunication ne prive celui qui l’a encourue que du droit de recevoir les sacremens, & de pouvoir être pourvû d’un bénéfice.

Le pouvoir d’excommunier a été donné à l’Église dans la personne des premiers pasteurs ; il fait partie du pouvoir des clés que Jesus-Christ même conféra aux apôtres immédiatement & dans leur personne aux évêques, qui sont les successeurs des apôtres. Jesus-Christ, en S. Matthieu, ch. xviij. V. 17. & 18. a ordonné de regarder comme un payen & un publicain, celui qui n’écouteroit pas l’Église. S. Paul usa de ce pouvoir, quand il excommunia l’incestueux de Corinthe ; & tous les apôtres ont eu recours à ce dernier remede, quand ils ont anathématisé ceux qui enseignoient une mauvaise doctrine. L’Eglise a dans la suite employé les mêmes armes, mais en mêlant beaucoup de prudence & de précautions dans l’usage qu’elle en faisoit ; il y avoit même différens degrés d’excommunication, suivant la nature du crime & de la desobéissance. Il y avoit des fautes pour lesquelles on privoit les fideles de la participation au corps & au sang de Jesus-Christ, sans les priver de la communion des prieres. L’évêque qui avoit manqué d’assister au concile de la province, ne devoit avoir avec ses confreres aucune marque extérieure de communion jusqu’au concile suivant, sans être cependant séparé de la communion extérieure des fideles de son diocèse, ni retranché du corps de l’Église. Ces peines canoniques étoient, comme on voit, plûtôt médicinales que mortelles. Dans la suite, l’excommunication ne s’entendit que de l’anathème, c’est-à-dire du retranchement de la société des fideles ; & les supérieurs ecclésiastiques n’userent plus avec tant de modération des foudres que l’Église leur avoit mis entre les mains.

Vers le neuvieme siecle on commença à employer les excommunications pour repousser la violence des petits seigneurs qui, chacun dans leurs cantons, s’étoient érigés en autant de tyrans ; puis pour défendre le temporel des ecclésiastiques, & enfin pour toutes sortes d’affaires. Les excommunications encourues de plein droit, & prononcées par la loi sans procédures & sans jugement, s’introduisirent après la compilation de Gratien, & s’augmenterent pendant un certain tems d’année en année. Les effets de l’excommunication furent plus terribles qu’ils ne l’avoient été auparavant ; on déclara excommuniés tous ceux qui avoient quelque communication avec les excommuniés. Grégoire VII. & quelques-uns de ses successeurs, pousserent l’effet de l’excommunication jusqu’à prétendre qu’un roi excommunié étoit privé de ses états, & que ses sujets n’étoient plus obligés de lui obéir.

Ce n’est pas une question, si un souverain peut & doit même être excommunié en certains cas graves, où l’Église est en droit d’infliger des peines spirituelles à ses enfans rebelles, de quelque qualité ou condition qu’ils soient : mais aussi comme ces peines sont purement spirituelles, c’est en connoître mal la nature & abuser du pouvoir qui les inflige, que de prétendre qu’elles s’étendent jusqu’au temporel, & qu’elles renversent ces droits essentiels & primitifs, qui lient les sujets à leur souverain.

Ecoutons sur cette matiere un écrivain extrèmement judicieux, & qui nous fera sentir vivement les conséquences affreuses de l’abus du pouvoir d’excommunier les souverains, en prétendant soûtenir les peines spirituelles par les temporelles : c’est M. l’abbé Fleuri, qui dans son discours sur l’histoire ecclésiastique, depuis l’an 600 jusqu’à l’an 1200, s’exprime ainsi : « J’ai remarqué que les évêques em-