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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/597

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nos victoires, les deux mariages de monseigneur le Dauphin, ont été célébrés par des fêtes, des illuminations, des bals, des feux d’artifice ; mais un trait éclatant, supérieur à tous ceux que peuvent produire les arts, un trait qui fait honneur à l’humanité, & digne en tout d’être éternisé dans les fastes de l’Europe, est l’action généreuse qui tint lieu de fête à la naissance de monseigneur le duc de Bourgogne.

Six cents mariages faits & célébrés aux dépens de la ville, furent le témoignage de son amour pour l’état, de son ardeur pour l’accroissement de ses forces, de l’humanité tendre qui guide ses opérations dans l’administration des biens publics.

Dans tous les tems cette action auroit mérité les loüanges de tous les gens de bien, & les transports de reconnoissance de la nation entiere. Une circonstance doit la rendre encore plus chere aux contemporains, & plus respectable a la postérité.

Au moment que le projet fut proposé à la ville, les préparatifs de la plus belle fête étoient au point de l’exécution. C’est à l’hôtel de Conty que devoit être donné le spectacle le plus ingénieux, le plus noble, le moins ressemblant qu’on eût imaginé encore. Presque toutes les dépenses étoient faites. J’ai vû, j’ai admiré cent fois tous ces magnifiques préparatifs. On avoit pris des précautions infaillibles contre les caprices du tems, l’évenement auroit illustré pour jamais & l’ordonnateur, & nos meilleurs artistes occupés à ce superbe ouvrage. Le succès paroissoit sûr. La gloire qui devoit le suivre fut sacrifiée, sans balancer, au bien plus solide de donner à la patrie de nouveaux citoyens. Quel est le vrai françois qui ne sente la grandeur, l’utilité, la générosité noble de cette résolution glorieuse ? Quelle admirable leçon pour ces hommes superficiels, qui croyent se faire honneur de leurs richesses en se livrant à mille goûts frivoles ! Quel exemple pour nos riches modernes, qui ne restituent au public les biens immenses qu’ils lui ont ravis, que par les dépenses superflues d’un luxe mal entendu, qui, en les déplaçant, les rend ridicules !

Toutes les villes considérables du royaume imiterent un exemple aussi respectable ; & l’état doit ainsi à l’hôtel-de-ville de sa capitale, une foule d’hommes nés pour l’aimer, le servir, & le défendre. (B)

Fêtes des grandes Villes du Royaume de France. C’est ici qu’on doit craindre les dangers d’une matiere trop vaste. Rien ne seroit plus agréable pour nous, que de nous livrer à décrire par des exemples aussi honorables que multipliés les ressources du zêle de nos compatriotes, dans les circonstances, où leur amour pour le sang de leurs rois a la liberté d’éclater. On verroit dans le même tableau la magnificence constante de la ville de Lyon embellie par le goût des hommes choisis qui la gouvernent, toûjours marquée au coin de cet amour national, qui fait le caractere distinctif de ses citoyens. A côté des fêtes brillantes, qui ont illustré cette ville opulente, on seroit frappé des ressources des habitans de nos beaux ports de mer, dans les circonstances où le bonheur de nos rois, ou la gloire de la patrie, leur ont fourni les occasions de montrer leur adresse & leur amour. On trouveroit dans le cœur de la France, sous les yeux toûjours ouverts de nos Parlemens, des villes plus tranquilles, mais moins opulentes, suppléer dans ces momens de joie, à tous les moyens faciles qu’offre aux autres la fortune par l’activité, l’élégance, les nouveautés heureuses, les prodiges imprévûs que fournit à l’industrie & au bon esprit la fécondité des talens & des arts. Telles seroient les fêtes de Toulouse, de Rennes, de Rouen, de Dijon, de Mets, &c. que nous pourrions décrire ; mais

on s’attache ici au nécessaire. Les soins qu’on a pris à Bordeaux, lors du passage de notre premiere dauphine dans cette ville, sont un précis de tout ce qui s’est jamais pratiqué de plus riche, de plus élégant dans les différentes villes du royaume ; & les arts différens, qui se sont unis pour embelir ces jours de gloire, ont laissé dans cette occasion aux artistes plusieurs modeles à méditer & à suivre.

On commence cette relation du jour que madame la dauphine arriva à Bayonne ; parce que les moyens qu’on prit pour lui rendre son voyage agréable & facile, méritent d’être connus des lecteurs qui savent apprécier les efforts & les inventions des arts.

Madame la dauphine arriva le 15 Janvier 1745 à Bayonne. Elle passa sous un arc de triomphe de quarante piés de hauteur, au-dessus duquel étoient accollées les armes de France & celles d’Espagne, soûtenues par deux dauphins, avec cette inscription : Quam bene perpetuis sociantur nexibus ambo ! De chaque côté de l’arc de triomphe régnoient deux galeries, dont la supérieure étoit remplie par les dames les plus distinguées de la ville, & l’autre l’étoit par cinquante-deux jeunes demoiselles habillées à l’espagnole. Toutes les rues par lesquelles madame la dauphine passa, étoient jonchées de verdure, tendues de tapisseries de haute-lisse, & bordées de troupes sous les armes.

Une compagnie de basques qui étoit allée au-devant de cette princesse à une lieue de la ville, l’accompagna en dansant au son des flûtes & des tambours jusqu’au palais épiscopal, où elle logea pendant son séjour à Bayonne.

Dès que le jour fut baissé, les places publiques, l’hôtel-de-ville & toutes les rues furent illuminées ; le 17 madame la dauphine partit de Bayonne, & continua sa route.

En venant de Bayonne, on entre dans la généralité de Bordeaux par les landes de captioux, qui contiennent une grande étendue de pays plat, où on n’apperçoit que trois ou quatre habitations dispersées au loin, avec quelques arbres aux environs.

L’année précédente, l’intendant de Guienne prévoyant le passage de l’auguste princesse que la France attendoit, fit au-travers de ces landes aligner & mettre en état-un chemin large de quarante-deux piés, bordé de fossés de six piés.

Vers le commencement du chemin, dans une partie tout-à-fait unie & horisontale, les pâtres du pays, huit jours avant l’arrivée de madame la dauphine, avoient fait planter de chaque côté, à six piés des bords extérieurs des fossés, 300 pins espacés de 24 piés entr’eux ; ils formoient une allée de 1200 toises de longueur, d’autant plus agréable à la vûe, que tous ces pins étoient entierement semblables les uns aux autres, de 8 à 9 piés de tige, de 4 piés de tête, & d’une grosseur proportionnée. On sait la propriété qu’ont ces arbres, d’être naturellement droits & toûjours verds.

Au milieu de l’allée on avoit élevé un arc de triomphe de verdure, présentant au chemin trois portiques. Celui du milieu avoit 24 piés de haut sur 16 de large, & ceux des côtés en avoient 17 de haut sur quatre de large. Ces trois portiques étoient répétés sur les flancs, mais tous trois de hauteur seulement de 17 piés, & de 9 de largeur : le tout formant un quarré long sur la largeur du chemin, par l’arrangement de 16 gros pins, dont les têtes s’élevoient dans une juste proportion au-dessus des portiques. Les ceintres de ces portiques étoient formés avec des branchages d’autres pins, de chênes verds, de lierres, de lauriers & de myrtes, & il en pendoit des guirlandes de même espece faites avec soin, soit pour leurs formes, soit pour les nuances des différens verds. Les tiges des pins, par le moyen de