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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/701

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sance depuis l’irruption des nations septentrionales jusqu’à l’an 650 : 2°. son enfance depuis ce tems-là jusqu’en 800 : en 3° lieu, sa jeunesse depuis le même tems jusqu’en 1027 : enfin 4°, son état de perfection peu de tems après.

Les princes de l’Europe & leurs sujets se trouvant unis mutuellement par des titres de possessions en fief (ce qui étant dûement considéré, montre la vraie nature du pouvoir de la royauté) ; cette union subsista long-tems dans un heureux état, pendant lequel, aucun prince de l’Europe ne s’imagina être revêtu d’un pouvoir arbitraire, jusqu’à ce que la loi civile ayant été ensevelie dans l’oubli, après l’établissement des nations du nord dans l’occident de l’Empire, cette nouvelle idée parut au jour. Alors quelques princes se servirent de la loi Regia pour s’attribuer un pouvoir despotique, & introduire dans leurs royaumes la loi civile, uniquement par ce motif. Cette entreprise n’eut point de succès en Angleterre, mais elle gagna le dessus dans d’autres parties de l’Europe ; en Espagne, par exemple, où la lecture de cette loi fut pour cette raison défendue sur peine de la vie.

Effets qui ont résulté de l’hérédité des fiefs. Une infinité de conséquences ont résulté de la perpétuité des fiefs. Il arriva de cette perpétuité des fiefs, que le droit d’ainesse ou de primogéniture s’établit dans l’Europe, chez les François, les Espagnols, les Italiens, les Anglois, les Allemands. Cependant on ne connoissoit point en France cet injuste droit d’aînesse dans la premiere race ; la couronne se partageoit entre les freres, les aleus se divisoient de même, & les fiefs amovibles ou à vie n’étant pas un objet de succession, ne pouvoient être un objet de partage. Dans la seconde race, le titre d’empereur qu’avoit Louis le Débonnaire, & dont il honora Lothaire son fils aîné, lui fit imaginer de donner à ce prince une espece de primauté sur ses cadets.

On juge bien que le droit d’aînesse établi dans la succession des fiefs, le fut de même dans celle de la couronne, qui étoit le grand fief. La loi ancienne qui formoit des partages, ne subsista plus : les fiefs étant chargés d’un service, il falloit que le possesseur fût en état de le remplir : la raison de la loi féodale força celle de la loi politique ou civile.

Dès que les fiefs furent devenus héréditaires, les ducs ou gouverneurs des provinces, les comtes ou gouverneurs des villes, non contens de perpétuer ces fiefs dans leurs maisons, s’érigerent eux-mêmes en seigneurs propriétaires des lieux, dont ils n’étoient que les magistrats, soit militaires, soit civiles, soit tous les deux ensemble. Par-là fut introduit un nouveau genre d’autorité dans l’état, auquel on donna le nom de suzeraineté ; mot, dit Loyseau, qui est aussi étrange que cette espece de seigneurie est absurde.

A l’égard des fiefs qui étoient dans leurs gouvernemens, & qu’ils ne purent pas s’approprier, parce qu’ils passoient par hérédité aux enfans du possesseur, ils inventerent, pour s’en dédommager, un droit qu’on appella le droit de rachat, qui se paya d’abord en ligne directe, & qui par usage, vint à ne se payer plus qu’en ligne collatérale. Voilà l’origine du droit de rachat reçu par nos coûtumes.

Bien-tôt les fiefs pûrent être transportés aux étrangers comme un bien patrimonial ; c’est à quoi l’on attribue en général l’origine du droit de lods & ventes ; mais consultez là-dessus ceux qui ont traité de cette matiere, relativement aux différentes coûtumes du royaume.

Lorsque les fiefs étoient à vie, on ne pouvoit pas donner une partie de son fief, pour le tenir à toûjours

en arriere-fief ; il eût été absurde qu’un simple usufruitier eût disposé de la propriété de la chose ; mais lorsqu’ils devinrent perpétuels, cela fut permis avec de certaines restrictions, que nos coûtumes ont en partie adoptées ; c’est-là ce qu’on a nommé se joüer de son fief.

La perpétuité des fiefs ayant établi le droit de rachat, comme nous l’avons dit, il arriva que les filles purent succéder à un fief au défaut des mâles ; car le seigneur donnant le fief à la fille, il multiplioit les cas de son droit de rachat, parce que le mari devoit le payer comme la femme : mais cette disposition ne pouvoit avoir lieu pour la couronne ; car comme elle ne relevoit de personne, il ne pouvoit y avoir de droit de rachat sur elle.

Eléonore succéda à l’Aquitaine, & Mathilde à la Normandie. Le droit des filles à la succession des fiefs parut dans ce tems-là si bien établi, que Louis VII. dit le jeune, après la dissolution de son mariage avec Eléonore, ne fit aucune difficulté de lui rendre la Guienne en 1150.

Quand les fiefs étoient amovibles, on les donnoit à des gens qui pouvoient les servir ; & il n’étoit point question de mineur : mais quand ils furent perpétuels, les seigneurs prirent le fief jusqu’à la majorité, soit pour augmenter leur profit, soit pour faire élever le pupille dans l’exercice des armes. Ce fut, je pense, vers l’an 877, que les rois firent administrer les fiefs, pour les conserver aux mineurs ; exemple qui fut suivi par les seigneurs, & qui donna l’origine à ce que nous appellons la garde-noble ; laquelle est fondée sur d’autres principes que ceux de la tutelle, & en est entierement distincte.

Quand les fiefs étoient à vie, on se recommandoit pour un fief ; & la tradition réelle qui se faisoit par le sceptre, constatoit le fief, comme fait aujourd’hui ce que nous nommons l’hommage.

Lorsque les fiefs passerent aux héritiers, la reconnoissance du vassal, qui n’étoit dans les premiers tems qu’une chose occasionnelle, devint une action réglée ; elle fut faite d’une maniere plus éclatante ; elle fut remplie de plus de formalités, parce qu’elle devoit porter la mémoire des devoirs du seigneur & du vassal, dans tous les âges.

Quand les fiefs étoient amovibles ou à vie, ils n’appartenoient guere qu’aux lois politiques ; c’est pour cela que dans les lois civiles de ce tems-là il est fait si peu mention des lois des fiefs : mais lorsqu’ils devinrent héréditaires, qu’ils purent se donner, se vendre, se léguer, ils appartinrent & aux lois politiques & aux lois civiles. Le fief considéré comme une obligation au service militaire, tenoit au droit politique ; considéré comme un genre de bien qui étoit dans le commerce, il tenoit au droit civil : cela donna naissance aux lois civiles sur les fiefs.

Les fiefs étant devenus héréditaires, les lois concernant l’ordre des successions dûrent être relatives à la loi de la perpétuité des fiefs : ainsi s’établit, malgré la disposition du droit romain & de la loi salique, cette regle du droit françois, propres ne remontent point. Il falloit que le fief fût servi ; mais un ayeul, un grand oncle, auroient été de mauvais vassaux à donner au seigneur : aussi cette regle n’eut-elle d’abord lieu que pour les fiefs, comme nous l’apprenons de Boutillier.

Les fiefs étant devenus héréditaires, les seigneurs soigneux de veiller à ce que le fief fût servi, exigerent que les filles qui devoient succéder aux fiefs ne pussent se marier sans leur consentement ; de sorte que les contrats de mariage devinrent pour les nobles une disposition féodale, & une disposition civile. Dans un acte pareil fait sous les yeux du sei-