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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/774

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l’arche de Noë : il fonde ces rapports principalement sur ce que la longueur & la largeur de l’arche sont dans la même proportion que la longueur & la largeur du corps humain que J. C. a bien voulu prendre ; la porte de l’arche, c’est la blessure que J. C. reçut au côté ; les bois quarrés signifient la stabilité de la vie des saints, &c. S. Ambroise en suivant à-peu-près la même idée, entre dans des détails encore plus petits : il explique le nidos facies in arcâ, en disant que ces nids ou loges sont nos yeux, nos oreilles, notre bouche, notre cerveau, notre poumon, la moëlle de nos os : quant à la porte de l’arche, pulchrè autem addidit, dit-il, ostium ex adverso facies eam partem declarans corporis per quam cibos egerere consuevimus, ut quæ putamus ignobiliora esse corporis, his honorem abundantiorem circumdaret. Lib. VII. de Noë & arcâ.

Au reste, il y a ici une remarque importante à faire ; c’est que les peres ont donné dans ces explications figurées, d’après des principes fixes & un système suivi : leur concert en cela pourroit seul en fournir la preuve ; mais il y a plus ; ils ont exposé en plusieurs endroits ces principes & ce système.

Origene entre autres, dont l’autorité & la méthode ont été respectées dans les deux églises, avance que toute l’Ecriture doit être interpretée allégoriquement, & il va même jusqu’à exclure en plusieurs endroits des livres saints, le sens littéral. Universam porrò sacram scripturam ad allegoricum sensum esse sumendam admonet nos, vel illud aperiam in parabolis os meum. Origen. in præfat. Historia scripturæ interdùm interserit quædam vel minùs gesta, vel quæ omninò geri non possunt, interdùm quæ possunt geri nec tamen gesta sunt. IV. de princip. S. Augustin, en rejettant cette opinion d’Origene, qu’il y avoit dans l’Ecriture des choses qui n’étoient jamais arrivées, & qu’on ne pouvoit pas entendre à la lettre, soûtient qu’il faut pourtant rapporter les évenemens de l’ancien Testament à la cité de Dieu, à l’Eglise chrétienne, à moins qu’on ne veuille s’écarter beaucoup du sens de celui qui a dicté les livres saints : ad hanc de quâ loquimur Dei civitatem omnia referantur, si ab ejus sensu qui ista conscripsit non vult longè aberrare qui exponit. Lib XV. c. xxvj. de civitate Dei.

En général, ils ont presque tous dit que Dieu en inspirant les Ecritures, ne seroit point entré dans les petits détails qu’on y trouve à chaque pas, s’il n’avoit eu le dessein de cacher sous ces détails les vérités de la Morale & de la religion chrétienne : d’où l’on voit que c’est d’après des principes fixes & un système suivi, qu’ils ont expliqué les Ecritures de cette façon.

Je me crois obligé de terminer cet article par une remarque du savant & judicieux Fleury. Je sai, dit-il, que les sens figurés ont été de tout tems reçûs dans l’Eglise...... Nous en voyons dans l’Ecriture même, comme l’allégorie des deux alliances, signifiées par les deux femmes d’Abraham ; mais puisque nous savons que l’épître de S. Paul aux Galates n’est pas moins écrite par inspiration divine que le livre de la Genese, nous sommes également assûrés de l’histoire & de l’application, & cette application est le sens littéral du passage de S. Paul. Il n’en est pas de même des sens figurés que nous lisons dans Origene, dans S. Ambroise, dans S. Augustin. Nous pouvons les regarder comme les pensées particulieres de ces docteurs..... & nous ne devons suivre ces applications, qu’autant qu’elles contiennent des vérités conformes à celles que nous trouvons ailleurs dans l’Ecriture, prise en son sens littéral. Cinquieme discours. (h)

Figure, (Logiq. Métaphys.) tour de mots & de pensées qui animent ou ornent le discours. C’est aux Rhéteurs à indiquer toutes les especes de figures ;

nous ne cherchons ici que leur origine, & la cause du plaisir qu’elles nous font.

Aristote trouve l’origine des figures dans l’inclination qui nous porte à goûter tout ce qui n’est pas commun. Les mots figures n’ayant plus leur signification naturelle, nous plaisent, selon lui, par leur déguisement, & nous les admirons à cause de leur habillement étranger ; mais il s’en faut bien que les figures ayent été dans leur berceau des expressions déguisées, inventées pour plaire par leur déguisement. Ce n’est pas non plus la hardiesse des expressions étrangeres que nous aimons dans les figures, puisqu’elles cessent de plaire si-tôt qu’elles paroissent tirées de trop loin. Nous donnons sans aucune recherche le nom de nuée à cet amas de traits que deux armées lançoient autrefois l’une contre l’autre ; & parce que l’air en étoit obscurci, l’image d’une nuée se présente tout naturellement, & le terme suit cette image. Voici donc des idées plus philosophiques que celles d’Aristote sur cette matiere.

Le langage, si l’on en juge par les monumens de l’antiquité & par le caractere de la chose, a été d’abord nécessairement figuré, stérile & grossier ; ensorte que la nature porta les hommes, pour se faire entendre les uns des autres, à joindre le langage d’action & des images sensibles à celui des sons articulés ; en conséquence la conversation, dans les premiers siecles du monde, fut soûtenue par un discours entremêlé de mots & d’actions. Dans la suite, l’usage des hiéroglyphes concourut à rendre le style de plus en plus figuré. Comme la nature & la nécessité, & non pas le choix & l’art, ont produit les diverses especes d’écritures hiéroglyphiques, la même chose est arrivée dans l’art de la parole. Ces deux manieres de communiquer nos pensées ont nécessairement influé l’une sur l’autre ; & pour s’en convaincre on n’a qu’à lire dans M. Warburthon le parallele ingénieux qu’il fait entre l’apologue, la parabole, l’énigme & les figures du langage, d’une part ; & d’autre part les différentes especes d’écritures. Il étoit aussi simple en parlant d’une chose, de se servir du nom de la figure hiéroglyphique, symbole de cette chose, qu’il avoit été naturel, lors de l’origine des hiéroplyphes, de peindre les figures auxquelles la coûtume avoit donné cours. Le langage figuré est proprement celui des prophetes, & leur style n’est pour ainsi dire qu’un hiéroglyphe parlant. Enfin les progrès & les changemens du langage ont suivi le sort de l’écriture ; & les premiers efforts dûs à la nécessité de communiquer ses pensées dans la conversation, sont venus par la suite des siecles, de même que les premiers hiéroglyphes, à se changer en mysteres, & finalement à s’élever jusqu’à l’art de l’éloquence & de la persuasion.

On comprend maintenant que les expressions figurées étant naturelles à des gens simples, ignorans & grossiers dans leurs conceptions, ont dû faire fortune dans leurs langues pauvres & stériles : voilà pourquoi celles des Orientaux abondent en pléonasmes & en métaphores. Ces deux figures constituent l’élégance & la beauté de leurs discours, & l’art de leurs orateurs & de leurs poëtes consiste à y exceller.

Le pléonasme se doit visiblement aux bornes étroites d’un langage simple : l’hebreu, par exemple, où cette figure se trouve fréquemment, est la moins abondante de toutes les langues orientales ; de-là vient que la langue hébraïque exprime des choses différentes par le même mot, ou une même chose par plusieurs synonymes. Lorsque les expressions ne répondent pas entierement aux idées de celui qui parle, comme il arrive souvent en se servant d’une langue qui est pauvre, il cherche nécessairement à s’expliquer en repétant sa pensée en d’autres termes,