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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/120

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& enfin de se répandre hors de leur cavité, par le premier orifice qui se présente.

Ce dernier cas est ordinairement celui des hémorrhagies symptomatiques : le précédent convient à celles qui sont critiques ; dans celui-là tout est, pour ainsi dire, méchanique ; dans celui-ci, les effets sont comme prédéterminés.

Il suit, de ce qui vient d’être dit, que les différentes causes de l’hémorrhagie peuvent se réduire à deux sortes de changemens qui se font dans la partie où elle a lieu, respectivement à l’état naturel ; savoir 1°. à la disposition particuliere des vaisseaux d’où se fait l’effusion de sang, disposition par laquelle la force retentrice de ces vaisseaux est considérablement diminuée, au point de céder à la force expultrice ordinaire, ou peu augmentée ; 2°. à la disposition générale, par laquelle la force retentrice restant la même que dans l’état habituel, la force expultrice augmente dans toutes les autres parties, au point de surmonter la résistance de cette partie, de la faire cesser, & de forcer les vaisseaux à se dilater outre mesure, ou à se rompre.

On ne conçoit pas aisément que le simple écartement des fibres, qui composent les vaisseaux des parties qui souffrent une hémorrhagie, puisse suffire pour la procurer, par l’espece de disposition qu’on appelle diapédeze. Voyez Vaisseau. Cet écartement ne peut donner passage au sang, qu’en tant que les interstices s’ouvrent de la même maniere que pourroit faire l’orifice des vaisseaux collatéraux non sanguins, pour admettre dans leur cavité des globules de sang, par erreur de lieu. Voyez Vaisseau. Mais un tel écartement, sans solution de continuité, ne paroît guere possible ; au lieu que la dilatation des collatéraux paroît suffisante pour expliquer tous les effets qu’on attribue à la diapédeze, sur-tout dans le cas de la dissolution du sang, qui rend plus facile la pénétration des globules rouges dans des vaisseaux étrangers.

L’érosion des vaisseaux, qu’on appelle diabrose, (voyez Vaisseau) ne paroît pas plus propre à produire des hémorrhagies que la diapédeze, parce que la qualité dissolvante, l’acrimonie dominante dans la masse des humeurs en général, (voyez Sang) à laquelle on attribue cet effet de dissolution des solides, cette érosion des vaisseaux, ne peuvent jamais fournir la raison d’un phénomene, qui est supposé absolument topique, qui doit, par conséquent, dépendre de causes particulieres ; d’ailleurs, en supposant qu’un vice dominant dans les humeurs puisse, ce qui est très-douteux, exister au point de produire une solution de continuité plutôt dans une partie que dans une autre, il devroit s’ensuivre que l’hémorrhagie devroit durer tant que ce vice subsisteroit ; ce qui est contraire à l’expérience, qui prouve que les hémorrhagies les plus considérables, les plus opiniâtres, sont néanmoins intermittentes périodiques ou erratiques ; ensorte que, tant qu’il y a lieu à la dilatation forcée des vaisseaux, qu’ils restent sans réaction & comme paralytiques, en cédant à la quantité du sang dont ils sont engorgés, ou à l’effort avec lequel y est poussé celui qu’ils reçoivent continuellement, la voie étant une fois faite pour son écoulement, l’hémorrhagie continue, & ne diminue qu’à mesure que la quantité de l’humeur surabondante, ou la force de l’impulsion se fait moindre, & laisse reprendre leur ressort aux solides auparavant distendus beaucoup plus que ne le comporte leur état naturel ; & celui-ci se rétablissant de plus en plus, jusqu’à ce que l’issue du sang qui s’écoule toujours moins abondant & moins rouge, soit tout-à-fait fermée, ne permet plus à ce fluide de s’extravaser, & le force à reprendre son cours ordinaire.

Tel est le système de toutes les hémorrhagies, tant

naturelles qu’accidentelles, dans quelque partie du corps que ce soit ; c’est ce qui se passe tant dans l’écoulement des menstrues, que dans celui des lochies, dans le flux hémorrhoidal, dans le pissement de sang, dans toute autre sorte d’hémorrhagie, soit par le nez, ou par toute autre partie du corps, où il n’y a d’autre différence, par rapport à l’évacuation, qu’à raison de l’intensité & de la durée, qui sont proportionnées à la force du sujet, de son tempérament, à la grandeur des vaisseaux ouverts, à la quantité de l’humeur surabondante à évacuer, ou à l’impulsion, à l’action spasmodique qui détermine le cours du sang, particuliérement vers la partie qui a été forcée, & qui oppose conséquemment moins de résistance, à cause de l’ouverture qui s’y est formée pour l’écoulement de ce fluide.

Après-avoir établi que l’hémorrhagie, de quelque nature qu’elle soit, ne semble dépendre que de la foiblesse de la partie où elle se fait, ou des efforts, soit méchaniques par les loix de l’équilibre vasculaire, ou spasmodiques, par une action déterminée de la puissance motrice, qui sont produits dans toutes les parties du corps contre celle qui s’ouvre, d’où suit l’effusion de sang ; on peut donc conclure, que dans le premier cas l’hémorrhagie ne peut être regardée que comme un symptome morbifique, un vice, une lésion dans l’économie animale ; & que dans le second, elle est toujours une tendance de la nature à produire un effet utile, à diminuer la trop grande quantité de sang absolue ou respective, dans une partie ou dans tout le corps ; par conséquent à remédier à la pléthore générale ou particuliere ; (voyez Pléthore) comme il est clairement prouvé par les hémorrhagies qui succedent à la suppression des regles, puisqu’on a souvent observé que les pertes de sang subsidiaires se rendent périodiques, comme celles dont elles sont le supplément.

Ainsi Sthaal, Venter, & la plûpart des observateurs en pratique, rapportent avoir souvent vû des hémoptysies, des crachemens, des vomissemens, des pissemens de sang qui avoient des retours aussi réglés que sont ceux de l’évacuation menstruelle dans l’état naturel : ce qui établit indubitablement qu’il y a quelque chose d’actif dans ces sortes d’hémorrhagies utiles, qui est une vraie tendance de la nature à faire des efforts pour suppléer, par une évacuation extraordinaire, au défaut d’une autre qui devoit se faire naturellement, ou qui étoit devenue nécessaire par habitude, par tempérament.

Mais cette tendance suivie des effets, peut cependant pécher par excès ou par défaut : il en est donc de toute hémorrhagie spontanée comme des menstrues utérines qui sont toujours produites pour l’avantage de l’individu ; mais il peut y avoir des variations très-nuisibles, en tant que l’évacuation peut être trop ou trop peu considérable, ou qu’elle peut être accompagnée d’autres circonstances nuisibles à l’économie animale. Voyez Menstrues, Hémorrhoides, Saignement de nez.

On trouvera, dans ces différens articles, à se convaincre, que si les hémorrhagies sont souvent des effets grandement nuisibles à l’économie animale, en tant qu’elles procurent l’évacuation d’un fluide, qui devroit être retenu, conservé dans ses vaisseaux, ou qu’elles causent par excès du déréglement à l’égard d’une excrétion naturelle, elles sont aussi très-souvent un des plus sûrs moyens que la nature emploie pour préserver des maladies qu’une trop grande quantité même de bonnes humeurs pourroit occasionner ; & qu’ainsi les hémorrhagies ne doivent pas toûjours être regardées comme des maladies, puisqu’elles sont au contraire très souvent propres à en garantir, & qu’elles peuvent produire des effets salutaires, en tant qu’elles tien-