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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/143

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Athènes, vinrent au bout de quelques années occuper cette côte de l’Asie mineure, qui prit d’eux le nom d’Ionie. Ils bâtirent avec le tems Ephèse, Clazomène, Samos & plusieurs autres villes.

Le retour des Héraclides est le commencement de l’histoire de Grece, dont elle fait une des principales époques ; & ce qui précede leur rétablissement doit être regardé comme les tems fabuleux que les Poëtes ont embelli. (D. J.)

HERACLION, ou PIERRE D’HÉRACLÉE, (Hist. nat.) nom donné par les anciens à la pierre de touche & quelquefois à l’aimant. Il s’en trouvoit beaucoup près de la ville d’Héraclée en Lydie. Voy. Lydius Lapis.

* HÉRACLITISME, ou Philosophie d’Héraclite, (Hist. de la Philos.) Héraclite naquit à Ephèse ; il connut le bonheur, puisqu’il aima la vie retirée ; dès son enfance il donna des marques d’une pénétration singuliere ; il sentit la nécessité de s’étudier lui-même, de revenir sur les notions qu’on lui avoit inspirées ou qu’il avoit fortuitement acquises, & il ne tarda pas à s’en avouer la vanité.

Ce premier pas lui fut commun avec la plûpart de ceux qui se sont distingués dans la recherche de la vérité ; & il suppose plus de courage qu’on ne pense.

L’homme indolent, foible & distrait aime mieux demeurer tel que la nature, l’éducation & les circonstances diverses l’ont fait, & flotter incertain pendant toute sa vie, que d’en employer quelques instans à se familiariser avec des principes qui le fixeroient. Aussi le voit-on mécontent au milieu des avantages les plus précieux, parce qu’il a négligé d’apprendre l’art d’en jouir. Arrivé au moment d’un repos qu’il a poursuivi avec l’opiniâtreté la plus continue & le travail le plus assidu, un germe de tourment qu’il portoit en lui-même secrettement, s’y développe peu à peu & flétrit entre ses mains le bonheur.

Héraclite convaincu de cette vérité, se rendit dans l’école de Xénophane & suivit les leçons d’Hippase qui enseignoit alors la philosophie de Pythagore dépouillée des voiles dont elle étoit enveloppée. Voyez Pythagoricienne (Philosophie).

Après avoir écouté les hommes les plus célebres de son tems, il s’éloigna de la société, & il alla dans la solitude s’approprier par la méditation les connoissances qu’il en avoit reçûes.

De retour dans sa patrie, on lui conféra la premiere magistrature ; mais il se dégoûta bientôt d’une autorité qu’il exerçoit sans fruit. Un jour il se retira aux environs du temple de Diane, & se mit à jouer aux osselets avec les enfans qui s’y rassembloient. Quelques Ephésiens l’ayant apperçu, trouverent mauvais qu’un personnage aussi grave s’occupât d’une maniere si peu conforme à son caractere, & le lui témoignerent. O Ephésiens, leur dit-il, ne vaut-il pas mieux s’amuser avec ces innocens, que de gouverner des hommes corrompus ? Il étoit irrité contre ses compatriotes qui venoient d’exiler Hermodore, homme sage & son ami ; & il ne manquoit aucune occasion de leur reprocher cette injustice.

Né mélancolique, porté à la retraite, ennemi du tumulte & des embarras, il revint des affaires publiques à l’étude de la Philosophie. Darius desira de l’avoir à sa cour : mais l’ame élevée du philosophe rejetta avec dédain les promesses du monarque. Il aima mieux s’occuper de la vérité, jouir de lui-même, habiter le creux d’une roche & vivre de légumes. Les Athéniens auprès desquels il avoit la plus haute considération, ne purent l’arracher à ce genre de vie dont l’austérité lui devint funeste. Il fut attaqué d’hydropisie ; sa mauvaise santé le ramena dans Ephèse où il travailla lui-même à sa guérison. Per-

suadé qu’une transpiration violente dissiperoit le volume d’eau dont son corps étoit distendu, il se renferma dans une étable où il se fit couvrir de fumier : ce remede ne lui réussit pas ; il mourut le second jour de cette espece de bain, âgé de soixante ans.

La méchanceté des hommes l’affligeoit, mais ne l’irritoit pas. Il voyoit combien le vice les rendoit malheureux, & l’on a dit qu’il en versoit des larmes. Cette espece de commisération est d’une ame indulgente & sensible. Et comment ne le seroit-on pas, quand on sçait combien l’usage de la liberté est affoibli dans celui qu’une violente passion entraîne ou qu’un grand intérêt sollicite ?

Il avoit écrit de la matiere, de l’univers, de la république & de la Théologie ; il ne nous a passé que quelques fragmens de ces différens traités. Il n’ambitionnoit pas les applaudissemens du vulgaire ; & il croyoit avoir parlé assez clairement, lorsqu’il s’étoit mis à la portée d’un petit nombre de lecteurs instruits & pénétrans. Les autres l’appelloient le ténébreux, σκοτεινὸς, & il s’en soucioit peu.

Il déposa ses ouvrages dans le temple de Diane. Comme ses opinions sur la nature des dieux n’étoient pas conformes à celles du peuple, & qu’il craignoit la persécution des prêtres, il avoit eu dirai-je la prudence ou la foiblesse de se couvrir d’un nuage d’expressions obscures & figurées. Il n’est pas étonnant qu’il ait été négligé des Grammairiens & oublié des Philosophes mêmes pendant un assez long intervalle de tems : ils ne l’entendoient pas. Ce fut un Cratès qui publia le premier les ouvrages de notre philosophe.

Héraclite florissoit dans la soixante-neuvieme olympiade. Voici les principes fondamentaux de sa philosophie, autant qu’il nous est possible d’en juger d’après ce que Sextus Empyricus & d’autres auteurs nous en ont transmis.

Logique d’Héraclite. Les sens sont des juges trompeurs : ce n’est point à leur décision qu’il faut s’en rapporter, mais à celle de la raison.

Quand je parle de la raison, j’entens cette raison universelle, commune & divine, répandue dans tout ce qui nous environne ; elle est en nous, nous sommes en elle, & nous la respirons.

C’est la respiration qui nous lie pendant le sommeil avec la raison universelle, commune & divine que nous recevons dans la veille par l’entremise des sens qui lui sont ouverts comme autant de portes ou de canaux : elle suit ces portes ou canaux, & nous en sommes pénétrés.

C’est par la cessation ou la continuité de cette influence qu’Héraclite expliquoit la réminiscence & l’oubli.

Il disoit : ce qui naît d’un homme seul n’obtient & ne mérite aucune croyance, puisqu’il ne peut être l’objet de la raison universelle, commune & divine, le seul criterium que nous ayons de la vérité.

D’où l’on voit qu’Héraclite admettoit l’ame du monde, mais sans y attacher l’idée de spiritualité.

Le mépris assez général qu’il faisoit des hommes prouve assez qu’il ne les croyoit pas également partagés du principe raisonnable, commun, universel & divin.

Physique d’Héraclite. Le petit nombre d’axiomes auxquels on peut la réduire, ne nous en donne pas une haute opinion. C’est un enchaînement de visions assez singulieres.

Il ne se fait rien de rien, disoit-il.

Le feu est le principe de tout : c’est ce qui se remarque d’abord dans les êtres.

L’ame est une particule ignée.

Chaque particule ignée est simple, éternelle, inaltérable & indivisible.

Le mouvement est essentiel à la collection des