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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/301

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ainsi, ajoûte ironiquement : « Pour nous, qui nous expliquons plus nettement, qui concevons plus vîte, qui jugeons plus équitablement, nous expédions les affaires en moins d’heures, paucioribus clepsydris, qu’ils ne mettoient de jours à les entendre ».

On sait en effet qu’on obligeoit l’orateur de suivre la loi, & qu’on ne lui laissoit pas le tems de prononcer un discours, qui étoit le fruit de plusieurs veilles : in actione aqua deficit, dit Quintilien. Quand les juges doubloient par extraordinaire le tems qui devoit être accordé par la loi, c’étoit clepsydras clepsydris addere.

On observoit seulement de suspendre l’écoulement de l’eau pendant la lecture des pieces qui ne faisoient pas le corps du discours, comme la déposition des témoins, le texte d’une loi, la teneur d’un décret ; c’étoit-là aquam sustinere.

Ce soin de mettre l’eau dans l’horloge, ou de l’arrêter, regardoit un ministere inférieur, & les personnes qui l’exerçoient, étoient d’un caractere assez méprisable. Souvent emportés par une haine particuliere ou corrompus par des présens, ils avoient l’art de faire couler l’eau plus promptement : alors dès qu’elle étoit écoulée, un sergent en avertissoit, & l’orateur étoit contraint de s’arrêter : s’il en usoit autrement, celui qui devoit parler après lui, avoit droit de l’interrompre, & de lui dire : Il ne t’est pas permis de puiser dans mon eau ; de-là ces expressions proverbiales, parler en son eau, avoir la mesure d’eau, pour signifier être borné & assujetti à un tems fixe.

Mais, malgré la sevérité de la loi, la faveur ou la haine amenerent insensiblement beaucoup d’injustices. Cicéron n’obtint qu’une demi-heure pour la défense de Rabirius, & les accusateurs de Milon eurent deux heures pour l’attaquer. Enfin il arriva que l’horloge d’eau ne s’arrêta plus que pour les gens sans crédit.

D’ailleurs on avoit imaginé toutes sortes de ruses pour accélérer ou retarder l’écoulement de l’eau, soit en employant des eaux plus ou moins épaisses, soit en détachant, ou en ajoûtant de la cire à la capacité du verre.

Les horloges à eau, dont nous venons de parler, étoient encore d’usage à l’armée, pour diviser les veilles aux sentinelles, comme on peut le recueillir des anciens auteurs tactiques : plusieurs peuples s’en servoient aussi, pour marquer les heures du jour & de la nuit ; témoin ce que dit César dans sa description de l’Angleterre, qu’il avoit observé par leurs horloges d’eau, que les nuits y étoient plus courtes que dans les Gaules. (D. J.)

Horloge à rouages, à ressorts, à contrepoids, à sonnerie, (Hist. de l’Horlog.) ce sont là tout autant de machines automates inventées pour mesurer le tems. De songer à le fixer, seroit un dessein extravagant ; mais, dit M. l’Abbé Saillier, marquer les momens de sa fuite, compter les parties par lesquelles il nous échappe, c’est un fruit de la sagacité de l’homme, & une découverte qui ayant eu la grace de la nouveauté, conserve encore la beauté de l’invention, jointe à son utilité reconnue ; cette découverte est celle des horloges en général.

Nous avons fait l’article historique des horloges à eau ; pour ce qui regarde les horloges à sable, voyez Sable. De cette maniere il nous reste seulement à parler de celles à rouages, à ressorts, à contrepoids, & à sonnerie ; comme elles succéderent aux premieres, leur histoire nous intéresse de plus près. Voici ce que j’en ai recueilli, particuliérement d’un mémoire de M. Falconet, inséré dans le recueil de l’académie des Inscriptions.

Après que Ctésibius, qui fleurissoit vers l’an 613 de Rome, eut imaginé la machine hydraulique des

horloges à eau, on trouva le secret d’en faire à rouage sur le même modele, & ces nouvelles horloges prirent une grande faveur ; Trimalcion en avoit une dans sa salle à manger. Cette invention néanmoins ne se perfectionna point ; car pendant plus de sept siecles, il n’est parlé d’aucune horloge remarquable. Nous ne connoissons de nom que celles de Boëce & de Cassiodore. On sait que Cassiodore avoit lui-même du goût pour la méchanique ; l’histoire rapporte que s’étant retiré sur ses vieux jours dans un monastere de la Calabre, il s’y amusoit à faire des horloges à rouages, des cadrans & des lampes perpétuelles.

Mais la barbarie enveloppa si bien tous les arts dans l’oubli, que lorsque deux cens ans après, le pape Paul I. envoya vers l’an 760, une horloge à rouage à Pepin le Bref, cette machine passa pour une chose unique dans le monde.

Vers l’an 807, le calife Aaron Raschild, si connu par son amour pour les sciences & les arts, ayant contracté une étroite amitié avec Charlemagne, lui fit entr’autres présens, celui d’une horloge, dont nos historiens parlent avec admiration, & qui étoit vraissemblablement dans le goût de celle du Pape Paul I. Ce n’étoit pas du-moins une horloge sonnante, car il n’y en avoit point de telle du tems de Charlemagne, & dans toutes les villes de son empire ; il n’y en eut même que vers le milieu du xiv. siecle. De là vient l’ancienne coûtume qui se conserve en Allemagne, en Suisse, en Hollande, en Flandres & en Angleterre, d’entretenir des hommes qui avertissent de l’heure pendant la nuit.

Les Italiens à qui l’on doit la renaissance de toutes les sciences & de tous les arts, imiterent aussi les premiers les horloges à roues du pape Paul & du calife des Abassides. Cette gloire appartient à Pacificus, archidiacre de Vérone, excellent méchanicien, mort en 846. Il n’est donc pas vrai, pour le dire en passant, que Gerbert qui mourut sur le siege pontifical en 1003, soit l’inventeur des horloges à roues, comme quelques-uns l’ont avancé ; en effet, outre que la prétendue horloge de Gerbert n’étoit qu’un cadran solaire, les roues étoient employées dans les horloges dont nous venons de parler, qui quoique vraies clepsydres au fond, devenoient horloges automates par le moyen des roues.

Dans le xiv. siecle, parut à Londres l’horloge de Walingford, Bénédictin anglois, mort en 1325, & elle fit beaucoup de bruit dans son pays ; mais bientôt après, l’on vit à Padoue celle de Jacques de Dondis, la merveille de son tems ; il nous sera facile de faire connoître au lecteur cette merveille, en transcrivant ici ce qu’en dit un témoin oculaire, le sieur de Mézieres, dans son songe du vieux pélerin. D’ailleurs, c’est un morceau assez curieux pour l’histoire de l’ancienne horlogerie ; le voici mot pour mot.

« Il est à savoir que en Italie, y a aujourd’huy ung homme en Philosophie, en Medecine & en Astronomie, en son degré singulier & solempnel, par commune renommée sur tous les autres excellent ès dessus trois sciences, de la cité de Pade. Son sournom est perdu, & est appellé maistre Jehan des Orloges, lequel demeure à présent avec le comte de Vertus, duquel pour science treble (triple) il a chacun an de gaiges & de bienfaits, deux mille flourins, ou environ. Cetuy maistre Jehan des Orloges, a fait dans son tems grands œuvres & solempnelles, ès trois sciences dessus touchiées, qui par les grands clercs d’Italie, d’Allemaigne & de Hongrie, sont autorisées, & en grant réputation, entre lesquels œuvres, il a fait un grant instrument par aucuns appellé espere (sphere) ou orloge du mouvement du ciel, auquel instrument, sont tous les mouvemens des signes & des planetes, avec leurs