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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/420

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& de l’autre on n’ôte point aux sciences une méthode très-nécessaire à l’art d’inventer, & qui est la seule qu’on puisse employer dans les recherches difficiles, qui demandent la correction de plusieurs siecles & les travaux de plusieurs hommes, avant que d’atteindre à une certaine perfection. Les bonnes hypotheses seront toûjours l’ouvrage des plus grands hommes. Copernic, Kepler, Huyghens, Descartes, Leibnitz, Newton lui-même, ont tous imaginé des hypotheses utiles pour expliquer les phénomenes compliqués & difficiles, & ce seroit mal entendre l’intérêt des sciences que de vouloir condamner des exemples justifiés par des succès aussi éclatans en métaphysique ; une hypothese doit être regardée comme démontrée fausse, si, en examinant la proposition qui l’exprime, elle est conçue dans des termes vuides de sens, ou qui n’ont aucune idée fixe & déterminée, si elle n’explique rien, si elle entraîne après elle des difficultés plus importantes que celles qu’on se propose de résoudre, &c. Il y a beaucoup de ces hypotheses. Voyez le chap. v. des Institutions de Phis. & sur-tout le traité des Systèmes de M. l’Abbé de Condillac.

Hypothese, en Mathématiques, c’est une supposition que l’on fait, pour en tirer une conséquence qui établit la vérité ou la fausseté d’une proposition, ou même qui donne la résolution d’un problême. Il y a donc deux choses principalement à considérer dans une proposition mathématique, l’hypothese & la conséquence ; l’hypothese est ce que l’on accorde, ou le point d’où l’on doit partir, pour en déduire la conséquence énoncée dans la proposition, ensorte qu’une conséquence ne peut être vraie, en Mathématiques, à moins qu’elle ne soit tirée de l’hypothese, ou de ce que les Géometres appellent les données d’une question ou d’une proposition : quand une conséquence seroit vraie absolument, si elle ne l’est pas relativement à l’hypothese ou aux données de la proposition, elle passe & doit effectivement passer pour fausse en Mathématiques, puisqu’elle n’a pas été déduite de ce dont l’on étoit convenu ; on n’a donc pas pris l’état de la question, & par conséquent l’on a fait un paralogisme, que l’on appelle dans les écoles, ignorantia elenchi, ignorance ou oubli de ce qui est en question.

Dans cette proposition, si deux triangles sont équiangles, leurs côtés homologues sont proportionels ; la premiere partie, si deux triangles sont équiangles, est l’hypothese ; & la seconde, leurs côtés homologues sont proportionels, est la conséquence. (E)

Hypothese, (Med.) ce mot grec est synonyme d’opinion. Voyez Opinion, Système, Médecine, Nature, Expérience, Observation.

HYPOTYPOSE, s. f. (Rhetor.) l’hypotypose, dit Quintilien, est une figure qui peint l’image des choses dont on parle avec des couleurs si vives, qu’on croit les voir de ses propres yeux, & non simplement en entendre le récit.

On se sert de cette figure lorsqu’on a des raisons pour ne pas exposer simplement un fait, mais pour le peindre avec force, & c’est en quoi consiste l’éloquence, qui n’a pas tout le succès qu’elle doit avoir, si elle frappe simplement les oreilles sans remuer l’magination & sans aller jusqu’au cœur.

L’hypotypose s’exprime quelquefois en peu de mots, & ce n’est pas la tournure qu’on aime le moins ; ainsi Virgile peint la consternation de la mere d’Euryale au moment qu’elle apprit sa mort,

Miseræ calor ossa reliquit :
Excussi manibus radii, revolutaque pensa.

Ainsi Cicéron se plaît à peindre la fureur de Verrès, pour le rendre plus odieux. Ipse inflammatus

scelere ac furore, in forum venit ; ardebant oculi ; tot ex ore crudelitas eminebat.

La poësie tire tout son lustre de l’hypotypose ; j’en pourrois alléguer mille exemples, un seul me suffira, j’entends le portrait de la Mollesse personnifiée dans le Lutrin.

La Mollesse oppressée
Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée ;
Et lasse de parler, succombant sous l’effort,
Soupire, étend ses bras, ferme l’œil & s’endort.

Je croyois ne pas citer d’autres exemples en ce genre ; cependant la description que je trouve sous la main, d’un vieux livre, dans le même poëme, est une hypotypose si parfaite, que je ne puis la passer sous silence. Il est question du chanoine, qui, pour frapper ses ennemis,

Saisit un vieil infortiat,
Grossi des visions d’Accurse & d’Alciat ;
Inutile ramas de gothique écriture,
Dont quatre ais mal unis formoient la couverture,
Entourée à demi d’un vieux parchemin noir,
Où pendoit à trois clous un reste de fermoir.

Lutrin, Chant V.


Il y a d’autres hypotyposes, qui ressemblent à des tableaux, dont toutes les attitudes frappent ; telle est cette peinture d’un repas de débauche qu’on lisoit dans une harangue de Ciceron, qui n’est pas parvenue jusqu’à nous. Videbar mihi videre alios intrantes, alios autem exeuntes, partim ex vino vacillantes, partim hesternâ potatione oscitantes ; versabatur inter hos Gallius, unguentis oblitus, redimitus coronis. Humus erat immunda lutulento vino, coronis languidulis, & spinis cooperta piscium. Quintilien, qui nous a conservé ce beau passage, ajoute ; quid plus videret, qui intrasset ?

Mais une hypotypose sublime, c’est le tableau que Racine nous donne dans Athalie, de la maniere dont Jozabet sauva Joas du carnage : elle s’exprime ainsi.

Hélas ! l’état horrible où le ciel me l’offrit,
Revient à tout moment effrayer mon esprit.
De princes égorgés la chambre étoit remplie.
Un poignard à la main l’implacable Athalie,
Au carnage animoit ses barbares soldats,
Et poursuivoit le cours de ses assassinats.
Joas laissé pour mort, frappa soudain ma vue ;
Je me figure encore sa nourrice éperdue,
Qui devant les bourreaux s’étoit jettée en vain,
Et foible le tenoit renversé sur son sein.
Je le pris tout sanglant ; en baignant son visage,
Mes pleurs du sentiment lui rendirent l’usage,
Et soit frayeur encore, ou pour me caresser,
De ses bras innocens je me sentis presser.
Grand Dieu que mon amour ne lui soit point funeste !

Acte I. Scene 2.

Cet autre morceau de la même piece, où Athalie raconte à Abner & à Mathan le songe qu’elle a fait, n’est pas une hypotypose moins admirable ; voici comme elle peint ce songe, ce cruel songe qui l’inquiete tant, & qui par-tout la poursuit.

C’étoit pendant l’horreur d’une profonde nuit,
Ma mere Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n’avoient point abattu sa fierté,
Même elle avoit encor cet éclat emprunté,
Dont elle eut soin de peindre & d’orner son visage,
Pour réparer des ans l’irréparable outrage.
Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi,
Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille ! En achevant ces mots épouvantables,