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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/457

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souvent cette théorie en pratique, & rend l’homicide beaucoup plus commun encore au Japon, qu’il ne l’est en Angleterre.

La liberté de conscience ayant toujours été accordée dans cette empire, ainsi que dans presque tout le reste de l’Orient, plusieurs religions étrangeres s’étoient paisiblement introduites au Japon. Dieu permettoit ainsi que la voie fût ouverte à l’évangile dans ces vastes contrées ; personne n’ignore qu’il fit des progrès prodigieux sur la fin du seizieme siecle, dans la moitié de cet empire. La célebre ambassade de trois princes chrétiens Japonnois au pape Grégoire XIII, est, ce me semble, l’hommage le plus flateur que le saint-siege ait jamais reçu. Tout ce grand pays, où il faut aujourd’hui abjurer l’évangile, & dont aucun sujet ne peut sortir, a été sur le point d’être un royaume chrétien, & peut-être un royaume portugais. Nos prêtres y étoient honorés plus que parmi nous ; à présent leur tête y est à prix, & ce prix même y est fort considérable : il est d’environ douze mille livres.

L’indiscrétion d’un prêtre portugais, qui refusa de céder le pas à un des officiers de l’empereur, fut la premiere cause de cette révolution. La seconde, fut l’obstination de quelques jésuites, qui soutinrent trop leurs droits, en ne voulant pas rendre une maison qu’un seigneur japonnois leur avoit donnée, & que le fils de ce seigneur leur redemandoit. La troisieme, fut la crainte d’être subjugués par les chrétiens. Les bonzes appréhenderent d’être dépouillés de leurs anciennes possessions, & l’empereur enfin craignit pour l’état. Les Espagnols s’étoient rendus maîtres des Philippines voisines du Japon ; on savoit ce qu’ils avoient fait en Amérique, il n’est pas étonnant que les Japonnois fussent allarmés.

L’empereur séculier du Japon proscrivit donc la religion chrétienne en 1586 ; l’exercice en fut défendu à ses sujets sous peine de mort ; mais comme on permettoit toujours le commerce aux Portuguais & aux Espagnols, leurs missionnaires faisoient dans le peuple autant de prosélytes, qu’on en condamnoit au supplice. Le monarque défendit à tous les habitans d’introduire aucun prêtre chrétien dans le pays ; malgré cette défense, le gouverneur des îles Philippines fit passer des Cordeliers en ambassade à l’empereur du Japon. Ces ambassadeurs commencerent par bâtir une chapelle publique dans la ville capitale ; ils furent chassés, & la persécution redoubla. Il y eut longtems des alternatives de cruautés & d’indulgences. Enfin arriva la fameuse rébellion des chrétiens, qui se retirerent en force & en armes en 1637, dans une ville de l’empire ; alors ils furent poursuivis, attaqués, & massacrés au nombre de trente-sept mille l’année suivante 1638, sous le regne de l’impératrice Mikaddo. Ce massacre affreux étouffa la révolte, & abolit entierement au Japon la religion chrétienne, qui avoit commencé de s’y introduire dès l’an 1549.

Si les Portugais & les Espagnols s’étoient contentés de la tolérance dont ils jouissoient, ils auroient été aussi paisibles dans cet empire, que les douze sectes établies à Méaco, & qui composoient ensemble dans cette seule ville, au-de-là de quatre cent mille ames.

Jamais commerce ne fut plus avantageux aux Portugais que celui du Japon. Il paroît assez, par les soins qu’ont les Hollandois de se le conserver, à l’exclusion des autres peuples, que ce commerce produisoit, sur-tout dans les commencemens, des profits immenses. Les Portugais y achetoient le meilleur thé de l’Asie, les plus belles porcelaines, ces bois peints, laqués, vernissés, comme paravents, tables, coffres, boëtes, cabarets, & autres semblables, dont notre luxe s’appauvrit tous les jours ;

de l’ambre gris, du cuivre d’une espece supérieure au nôtre ; enfin l’argent & l’or, objet principal de toutes les entreprises de négoce.

Le Japon, aussi peuplé que la Chine à proportion, & non moins industrieux, tandis que la nation y est plus fiere & plus brave, possede presque tout ce que nous avons, & presque tout ce qui nous manque. Les peuples de l’Orient étoient autrefois bien supérieurs à nos peuples occidentaux, dans tous les arts de l’esprit & de la main. Mais que nous avons regagné le tems perdu, ajoûte M. de Voltaire ! les pays où le Bramante & Michel Ange ont bâti Saint Pierre de Rome, où Raphaël a peint, où Newton a calculé l’infini, où Leibnitz partagea cette gloire, où Huyggens appliqua la cycloïde aux pendules à secondes, où Jean de Bruges trouva la peinture à l’huile, où Cinna & Athalie ont été écrits ; ces pays, dis-je, sont devenus les premiers pays de la terre. Les peuples orientaux ne sont à présent dans les beaux arts, que des barbares, ou des enfans, malgré leur antiquité, & tout ce que la nature a fait pour eux. (D. J.)

JAPONNER, v. act. (Poterie.) c’est donner une nouvelle cuisson aux porcelaines de la Chine, pour les faire passer pour porcelaines du Japon. Par cette manœuvre pratiquée en Angleterre & en Hollande, on colore en rouge & l’on ajoûte des fleurs & des filets d’or aux pieces de la Chine, qui sont toutes bleues & blanches ; mais ces ornemens ajoûtés, ayant trop d’éclat, on les affoiblit par le feu : avec toutes ces précautions, les connoisseurs ne sont pas trompés.

* JAPONOIS, Philosophie des (Hist. de la Philosophie.) Les Japonois ont reçu des Chinois presque tout ce qu’ils ont de connoissances philosophiques, politiques & superstitieuses, s’il en faut croire les Portugais, les premiers d’entre les Européens qui aient abordé au Japon, & qui nous aient entretenus de cette contrée. François Xavier, de la Compagnie de Jésus, y fut conduit en 1549 par un ardent & beau zele d’étendre la religion chrétienne : il y prêcha ; il y fut écouté ; & le Christ seroit peut-être adoré dans toute l’étendue du Japon, si l’on n’eût point allarmé les Peuples par une conduite imprudente qui leur fit soupçonner qu’on en vouloit plus à la perte de leur liberté qu’au salut de leurs ames. Le rôle d’apôtre n’en souffre point d’autre : on ne l’eut pas plûtôt deshonoré au Japon en lui associant celui d’intérêt & de politique, que les persécutions s’éleverent, que les échaffauds se dresserent, & que le sang coula de toutes parts. La haine du nom chrétien est telle au Japon, qu’on n’en approche point aujourd’hui sans fouler le Christ aux pieds ; cérémonie ignominieuse à laquelle on dit que quelques Européens plus attachés à l’argent qu’à leur Dieu, se soumettent sans répugnance.

Les fables que les Japonois & les Chinois débitent sur l’antiquité de leur origine, sont presque les mêmes ; & il résulte de la comparaison qu’on en fait, que ces sociétés d’hommes se formoient & se polissoient sous une ere peu différente. Le célebre Kempfer qui a parcouru le Japon en naturaliste, géographe, politique & théologien, & dont le voyage tient un rang distingué parmi nos meilleurs livres, divise l’histoire japonoise en fabuleuse, incertaine & vraie. La période fabuleuse commence long-tems avant la création du monde, selon la chronologie sacrée. Ces peuples ont eu aussi la manie de reculer leur origine. Si on les en croit, leur premier gouvernement fut théocratique ; il faut entendre les merveilles qu’ils racontent de son bonheur & de sa durée. Le tems du mariage du dieu Isanagi Mikotto & de la déesse Isanami Mikotto, fut l’âge d’or pour