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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/49

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joint quelquefois ce qu’il avoit vû lui-même dans les siens. Là il raconte entre autres choses, qu’allant en Prusse par mer, il fut témoin de la péche des harengs, dont il poursuit ainsi la description, chapitre xjx.

« Entre le royaume de Norvege & de Danemark, il y a un bras de la grande mer qui départ l’île & royaume de Norvegue de la terre-ferme, & du royaume de Danemarck, lequel bras de mer par-tout étoit étroit dure quinze lieues, & n’a ledit bras de largeur qu’une lieue ou deux ; & comme Dieu l’a ordonné, son ancelle nature ouvrant deux mois de l’an & non plus, c’est-à-savoir en Septembre & Octobre, le hareng fait son passage de l’une mer en l’autre parmi l’étroit, en si grant quantité, que c’est une grant merveille, & tant y en passe en ces deux mois, que en plusieurs lieux en ce bras de quinze lieues de long, on les pourroit tailler à l’épée ; or vient l’autre merveille, car de ancienne coûtume chacun an, les nefs & basteaux de toute l’Allemagne & de la Prusse, s’assemblent à grant ost audit destroit de mer dessusdit, ès-deux mois dessusdits, pour prendre le hérent ; & est commune renommée là, qu’ils sont quarante mille basteaux qui ne font autre chose, ès-deux mois que pescher le hérent ; & en chacun basteau du-moins y a six personnes, & en plusieurs sept, huit, ou dix ; & en outre les quarante mille basteaux, y a cinq cens grosses & moyennes nefs, qui ne font autre chose que recueillir & saller en casques de hareng, les harengs que les quarante mille basteaux prendent, & ont en coûtume que les hommes de tous ces navires, ès-deux mois se logent sur la rive de mer, en loges & cabars, qu’ils font de bois & de rainsseaux, au long de quinze lieues, par-devers le royaume de Norvegue.

» Ils emplissent les grosses nefs de hérens quaques ; & au chief des deux mois, huit jours ou environ après, en y trouveroit plus une barque, re héreng en tout l’étroit ; si a jéhan (apparemment grant) bataille de gent pour prendre ce petit poisson : car qui bien les veut nombrer, en y trouvera plus de trois cents mille hommes, qui ne font autre chose en deux mois, que prendre le hérent. Et parce que je, pelerin vieil & usé, jadis allant en Prusse par mer en une grosse nave, passai du long du bras de mer susdit, par beau tems, & en la saison susdit, que le hérent se prent, & vits lesdites barques ou basteaux, & nefs grosses : ai mangé du hérent en allant, que les Pescheurs nous donnerent, lesquels & autres gens du pays me certifierent merveille, pour deux causes ; l’une pour reconnoître la grace que Dieu a fait à la Chrétienté ; c’est-à-savoir de l’abondance du héren, par lequel toute Allemaigne, France, Angleterre, & plusieurs autres pays sont repus en Caresme ».

Voilà donc une époque sûre de grande pêche reglée du hareng que l’on faisoit dans la mer du Nord avant 1389 ; mais bien-tôt les Hollandois connurent l’art de l’apprêter, de le vuider de ses breuilles ou entrailles, de le trier, de l’arranger dans les barrils ou de l’encaquer, de le saler, & de le sorer, non-seulement plus savamment qu’on ne le faisoit en Allemagne lors du passage de Philippe de Maizieres, mais mieux encore que les autres nations ne l’ont fait depuis.

La maniere industrieuse de les encaquer & de les saler pour le goût, la durée, & la perfection, fut trouvée en 1397, par Guillaume Buckelsz, natif de Biervlict dans la Flandre hollandoise. Sa mémoire s’est à jamais rendue recommandable par cette utile invention ; on en parloit encore tant sous le regne de Charles V, que cet empereur voyageant dans les

pays-bas, se rendit à Bier-vlict avec la reine de Hongrie sa sœur, pour honorer de leur présence le tombeau de l’illustre encaqueur de harengs.

Maniere d’apprêter & saler le hareng. Aussi-tôt que le hareng est hors de la mer, le caqueur lui coupe la gorge, en tire les entrailles, laisse les laites & les œufs, les lave en eau douce, & lui donne la fausse, ou le met dans une cuve pleine d’une forte saumure d’eau-douce & de sel marin, où il demeure douze à quinze heures. Au sortir de la fausse, on le varaude ; suffisamment varaudé, on le caque bien couvert au fond & dessus d’une couche de sel.

Voilà ce qu’on appelle le hareng blanc ; on laisse celui qui doit être sors, le double de tems dans la sausse ; au sortir de la sausse, on le brochette ou enfile par la tête à de menues broches de bois qu’on appelle aîne ; on le pend dans des especes de cheminées faites exprès, qu’on nomme roussables ; on fait dessous un petit feu de menu bois qu’on ménage de maniere qu’il donne beaucoup de fumée & peu de flamme. Il reste dans le roussable jusqu’à ce qu’il soit suffisamment sors & fumé, ce qui se fait ordinairement en vingt-quatre heures : on en peut sorer jusqu’à dix milliers à-la-fois.

La pêche de ce poisson se fait aujourd’hui ordinairement en deux saisons ; l’une au printems le long des côtes d’Ecosse, & l’autre en automne le long des côtes d’Angleterre au nord de la Tamise. Il se pêche aussi d’excellens harengs dans le Zuyder-Zée, entre le Texel & Amsterdam, mais il y en a peu ; néanmoins pendant la guerre que les Hollandois soûtinrent contre l’Angleterre sous Charles II, la pêche du Nord ayant cessé, il vint tant de harengs dans le Zuyder-Zée, que quelques pêcheurs en prirent dans l’espace d’un mois, jusqu’à huit cents lasts, qui font environ quatre-vingt fois cent milliers. Ce poisson si fécond meurt aussi-tôt qu’il est hors de l’eau, de-sorte qu’il est rare d’en voir de vivans.

On employe pour cette pêche de petits bâtimens, que l’on appelle en France barques ou bateaux, & qu’en Hollande on nomme buches ou flibots.

Les buches dont les Hollandois se servent à ce sujet, sont communément du port de quarante-huit à soixante tonneaux ; leur équipage consiste pour chaque buche en quatre petits canons pesans ensemble quatre mille livres, avec quatre pierriers, huit boëtes, six fusils, huit piques longues, & huit courtes.

Il n’est pas permis de faire sortir des ports de Hollande aucune buche pour la pêche du hareng, qu’elle ne soit escortée d’un convoi, ou du-moins qu’il n’y en ait un nombre suffisant pour composer ensemble dix-huit ou vingt pieces de petits canons, & douze pierriers. Alors elles doivent aller de conserve, c’est-à-dire de flotte & de compagnie, sans pourtant qu’elles puissent prendre sous leur escorte aucun bâtiment non armé.

Les conventions verbales qui se font pour la conserve, ont autant de force, que si elles avoient été faites par écrit. Il faut encore observer, que chaque bâtiment de la conserve, doit avoir des munitions suffisantes de poudre, de balles, & de mitrailles, pour tirer au-moins seize coups.

Lorsque le tems se trouve beau, & que quelque buche veut faire la pêche, il faut que le pilote hisse son artimon ; & les buches qui ne pêchent point, ne doivent pas se mêler avec celles qui pêchent, il faut qu’elles se tiennent à la voile.

Il y a plusieurs autres réglemens de l’amirauté de Hollande, pour la pêche du hareng, qu’ont imité les diverses nations qui font ce commerce, avec les changemens & augmentations qui leur convenoient. Nous n’entrerons point dans ce détail, qui nous meneroit trop loin ; il vaut mieux parler du profit que les Hollandois en particulier retirent de cette pêche.