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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/598

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que des expressions abrégées, qui renferment tout-à-la-fois le sujet & le verbe, de même à-peu-près que eo, fleo, sto, sont équivalens à ego sum iens, ego sum flens, ego sum stans, renfermant conjointement le sujet de la premiere personne, & le verbe.

On a coutume de regarder comme un latinisme très-éloigné des lois de la syntaxe générale, le tour ire est ; & je ne sais si l’on s’est douté que l’équivalent itur s’écartât le moins du monde des lois les plus ordinaires ; c’est pourtant l’expression la moins naturelle des deux, & la plus difficile à justifier. Ire est l’action d’aller, cela est simple, quand on ne veut affirmer que l’action d’aller, sans assigner à cet acte aucun sujet déterminé. Mais comment le tour passif itur peut-il présenter la même idée ? c’est que l’effet produit par une cause est en soi purement passif, & n’existe que passivement ; ainsi il suffit d’employer la voix passive pour affirmer l’existence passive de cet effet, quand on ne veut pas en désigner la cause active. Ceci me paroît encore naturel, mais beaucoup plus détourné que le premier moyen ; & par conséquent le second tour approche plus que le premier de ce que l’on nomme idiotisme.

Cette observation me conduit à une question qui y a bien du rapport, & qui va peut être apprêter à rire à cette foule d’érudits, qui ont garni leur mémoire de tous les mots & de tous les tours matériels de la langue latine, sans en approfondir un seul ; qui en connoissent la lettre, si l’on veut, mais qui n’en ont jamais pénétré l’esprit. Itum est, fletum est, statum est, on alla, on pleura, on s’arrêta ; ces tours sont-ils actifs ou passifs ?

Afin de répondre avec précision, qu’il me soit permis de remarquer en premier lieu que, ire est est au présent, itum est au prétérit, & eundum est au futur ; personne apparemment ne le contestera. En second lieu que ces trois tours sont analogues entre eux, puisque dans tous trois, l’idée individuelle de la signification du verbe ire est employée comme sujet du verbe substantif ; d’où il suit que ces trois expressions sont comparables entr’elles, comme parties d’une même conjugaison, de la même maniere, quant au sens, que doceo, docui, docturus sum. Il en est donc du sens d’itum est, comme de celui d’ire est, & de celui d’eundum est ; mais il est hors de doute que ire est est un tour actif, & il est aisé de prouver qu’il en est de même de eundum est. On lit dans Virgile (Ænéide XI. 230.) pacem trojano ab rege petendum, il faut demander la paix au prince troyen : pacem est à l’accusatif à cause du verbe actif petendum, qui n’est autre chose que le gérondif de petere, & qui n’en differe que par la relation au tems. Nos rudimentaires modernes imagineront peut-être une faute des copistes à ce vers de Virgile, & croiront qu’il faut lire petendam, afin de ne pas y avouer le sens actif, mais mal-à propos. Servius qui vivoit au quatrieme siecle, dont le latin étoit la langue naturelle, & qui nous a laissé sur Virgile un commentaire estimé, loin de vouloir esquiver pacem petendum, remarque que c’est un tour nécessaire quand on employe le gérondif ; cum per gerundi modum aliquid dicimus, per accusativum elocutionem formemus necesse est, ut petendum mihi est equum ; il ajoûte à cela un exemple pris dans Lucrece, æternas quoniam poenas in morte timendum. Min-Ellius, dans ses annotations sur Virgile, observe sur le même vers que c’est une façon de parler familiere à Lucrece, dont il cite d’abord le même exemple que Servius, & ensuite un second, motu privandum est corpora. Il faut donc avouer que comme petendum est pacem est une locution active, eundum est à plus forte raison doit être pris également dans le sens actif ; devoir aller, eundum est, est ; devoir aller est, c’est-à-dire on doit aller, comme aller est, ire est, signifie on va.

Servius au même endroit déja cité, après l’exemple tiré de Lucrece, en ajoûte un autre tiré de Salluste, castra sine vulnere introitum, mettant ainsi sur la même ligne petendum, timendum & introitum, qu’il désigne également par la dénomination de gerundi modus. Sur le servitum matribus ibo (Ænéide II. 786.) il s’étoit expliqué de même, modus gerundi est, & à propos de quis talia fando, &c. (ibid. 6.) gerundi modus est, dit-il, sive pro infinitivo modo dictum accipiunt. Ce dernier mot est important ; il prouve que ire, itum & eundum, sont également du mode infinitif, & qu’apparemment ils ne doivent différer entre eux que par les relations temporelles ; aussi n’est-ce que par ces mots que different les trois phrases ire est, itum est, eundum est, que nous traduisons activement par on va, on est allé, on doit aller.

Concluons donc par analogie que itum est est également actif, qu’il signifie littéralement être allé est, & selon le tour françois, on est allé.

Il faut bien que Varron ait pensé que le supin spectatum avoit le sens actif, quand il a dit esse in Arcadia scio spectatum suem pour spectasse, dit la méthode latine de Port-royal. Et Plaute a dit dans le même sens (Amphytr. in prol.) justam rem & facilem esse oratum à vobis volo : sur quoi il est bon de remarquer que sans volo, ce comique auroit dit, justam rem & facilem esse oratum à vobis, conformément à l’analogie que j’établis ici, & que lui-même a suivie dans le texte dont il s’agit.

Quelques-uns de nos grammairiens françois, par un attachement aveugle à la prétendue impersonnalité des verbes latins, ont voulu la retrouver dans notre phrase françoise, on va, on est allé, on doit aller ; il faut, il pleut, &c. mais il est évident que c’est fermer les yeux à la lumiere : quelle que puisse être l’origine de notre on, il est constant que c’est un pronom général qui désigne par l’idée précise de la troisieme personne, un sujet d’une nature quelconque, & conséquemment qu’il n’y a point d’impersonnalité partout où on le rencontre. Dans les autres exemples notre il est chargé des mêmes fonctions, avec cette différence que on fixe plus particulierement l’attention sur les hommes, & que il détermine d’une maniere plus générale. Il pleut, c’est-à-dire, l’eau pleut. Il faut aimer Dieu, il est un pronom appellatif, déterminé par ces mots aimer Dieu, de sorte que le sujet total est il aimer Dieu ; faut manque, est nécessaire, à l’imitation du desideratur latin. Il y a des hommes, ou plusieurs philosophes qui le nient, c’est-à-dire il des hommes, ou il savoir plusieurs philosophes qui le nient, a place ici. Dans il des hommes le déterminatif de il y est joint par la préposition de ; dans il plusieurs philosophes, le déterminatif est joint à il par simple opposition, comme cela étoit très-commun al tems Innocent III. Villehardouin.

IMPERTINENCE, s. f. (Morale.) l’usage a changé le sens de ce mot ; il exprimoit autrefois une action ou un discours opposé au sens commun, aux bienséances, aux petites regles qui composent le savoir vivre. On ne s’en sert guere aujourd’hui que pour caractériser une vanité dédaigneuse, conçue sans fondement, & montrée sans pudeur ; cette sorte de vanité est assez commune. Heureux qui peut en rire ! l’homme sage & sensé en est plus le martyr que le frondeur. La vanité, l’impertinence, le sot orgueil des rangs, lui paroissent les inconvéniens nécessaires de l’hiérarchie, qui maintient l’ordre de l’amour de la gloire qui vivifie la nation.

Impertinent, (Gramm. & Morale.) l’impertinence se dit du caractere de l’homme, & d’une action qu’il aura faite : on dit de l’homme c’est un impertinent ; de l’action c’est une impertinence. il faut cependant observer qu’il en est de l’impertinence comme du mensonge, de l’injustice, & de la plûpart des autres