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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/650

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son intégrité, parce qu’elle aura toujours le même sujet & le même attribut, les savans devroient surpasser en sagesse le commun des hommes. Mais dans le second exemple, la gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel ; si l’on supprime la proposition incidente, l’intégrité de la principale est altérée au point que ce n’est plus la même, parce que ce n’est plus le même sujet ; la gloire a un éclat immortel, il s’agit ici de la gloire en général, d’une gloire quelconque, ayant une cause quelconque, de maniere qu’il en résulte une proposition fausse, au lieu de la premiere qui est vraie.

Quand la proposition incidente est explicative, elle est toujours liée au mot sur lequel elle tombe, par l’un des mots conjonctifs qui, que, dont, lequel, &c. Le mot expliqué par la proposition incidente est appellé l’antécédent du pronom conjonctif & de la proposition incidente même, & c’est toujours un nom ou l’équivalent d’un nom. Dans ce cas, on peut, sans altérer la vérité, substituer l’antécédent au pronom conjonctif, pour transformer la proposition incidente en principale, en soumettant l’antécédent à la même syntaxe que le pronom conjonctif. Ainsi lorsqu’on a la proposition totale, les savans, qui sont plus instruits que le commun des hommes, &c. on peut dire, les savans sont plus instruits que le commun des hommes ; & cette proposition devenue principale, a encore la même vérité que quand elle étoit incidente. Ce seroit la même chose de ces autres propositions incidentes : l’homme que Dieu a doué de raison, la providence par qui tout est gouverné, la religion chrétienne dont les preuves sont invincibles : après la substitution de l’antécédent à la place du pronom conjonctif selon la même syntaxe, on aura autant de propositions principales également vraies ; Dieu a doué l’homme de raison, tout est gouverné par la providence, les preuves de la religion chrétienne sont invincibles.

Mais quand la proposition incidente est déterminative, quoiqu’elle soit amenée par l’un des pronoms conjonctifs qui, que, dont, lequel, &c. on ne peut pas la rendre principale, en substituant l’antécédent au pronom conjonctif, sans en altérer la vérité. Ainsi dans la proposition totale, la gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel, on ne peut pas dire la gloire vient de la vertu, parce que ce seroit affirmer que toute gloire en général a sa source dans la vertu, ce que ne disoit point la proposition incidente, & qui est faux en soi. Voyez la Logique de P. R. Part. I. ch. viij. & Part. II. ch. v. & vj.

M. du Marsais définit la proposition incidente, celle qui se trouve entre le sujet personnel & l’attribut d’une autre proposition qu’on appelle proposition principale (voyez Construction) ; & il ajoûte que le mot incidente vient du latin incidere (tomber dans), parce que la proposition incidente tombe en effet entre le sujet & l’attribut de la proposition principale, La définition & l’étymologie du mot incidente sont également erronées.

Le mot latin incidere signifie autant tomber sur que tomber dans ; & c’est assurément dans ce premier sens que l’on a donné le nom d’incidente à une proposition partielle, liée à un mot dont elle développe la compréhension, ou dont elle restraint l’étendue : toute proposition incidente tombe sur l’antécédent ; elle est amenée pour lui dans la proposition principale ; & c’est par rapport à lui qu’elle doit prendre un nom qui caractérise sa destination : pourquoi seroit-elle nommée relativement à la proposition principale, puisque quand elle est simplement explicative, elle n’apporte absolument aucun changement au sens de la principale ?

Pour ce qui regarde l’assertion de M. du Marsais, qui prétend que la proposition incidente se trouve entre le sujet personnel & l’attribut de la proposi-

tion principale ; il me semble que c’est une opinion

bien surprenante dans ce grammairien philosophe, pour quiconque a lû ce qu’on a cité ci-dessus de la Logique de P. R. Il y est dit, & la chose est évidente, qu’une proposition incidente peut tomber ou sur le sujet de la proposition principale, ou sur l’attribut, ou sur l’un & l’autre. La gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel, proposition dont le sujet est modifié par une incidente. César fut le tyran d’une république dont il devoit être le défenseur, proposition dont l’attribut renferme une incidente. Les grands qui oppriment les foibles seront punis de Dieu, qui est le protecteur des opprimés, proposition qui renferme deux incidentes, l’une qui tombe sur le sujet, & l’autre qui modifie l’attribut. Ce n’est donc pas au sujet seul de la principale qu’il faut rapporter l’incidente ; c’est à tout mot dont on veut développer la compréhension ou restraindre l’étendue.

J’ajoûterai encore une remarque : c’est que les pronoms conjonctifs qui, que, dont, lequel, &c. ne sont pas, comme on le pense ordinairement, les seuls mots qui servent à lier les propositions incidentes déterminatives à leurs antécédens. Dans cette phrase, par exemple, l’état présent des Juifs prouve que notre religion est divine ; il y a une proposition incidente, savoir notre religion est divine ; elle est liée à son antécédent sous-entendu une vérité, par la conjonction que équivalente à qui est ; & c’est comme si l’on disoit, l’état présent des Juifs prouve une vérité, qui est notre religion est divine. Cette maniere d’analyser explique aussi naturellement la phrase italienne, l’allemande & l’angloise : je crois que j’aime, c’est-à-dire je crois une chose qui est j’aime : en italien, credo che amo, c’est-à-dire credo cosa che è amo ; en allemand, ich glaube dass ich liebe, c’est-à-dire ich glaube cine dinge dass ist ich liebe ; en anglois, i think that i love, c’est-à-dire i think a thing that is i love. Les Anglois vont même plus loin, ils suppriment tout ce qui n’est pas la proposition incidente, qu’ils envisagent alors comme un seul mot complément du premier verbe ; i think i love, comme si l’on disoit en allemand ich glaube ich liebe, en italien credo amo, & en françois je crois j’aime.

L’incrédulité est si injuste qu’elle condamne la religion sans la connoître, c’est-à-dire l’incrédulité est injuste à un point qui est elle condamne la religion sans la connoître : la proposition incidente déterminative, elle condamne la religion sans la connoître, est donc liée par la conjonction que à l’antécédent vague un point renfermé dans l’adverbe si : tout adverbe équivaut comme on sait, à une préposition avec son complément, si (tellement, à un point).

Personne ne sait si le lendemain lui sera donné, c’est-à-dire personne ne sait cette chose incertaine, qui est si le lendemain lui sera donné. Le génie du latin confirme ce tour analytique ; on s’y sert du même mot an pour le doute & pour l’interrogation, & cet usage est très-raisonnable.

Ajoûtons un exemple latin : Pausanias ut audivit Argilium confugisse in aram, perturbatus eò venit (Nep. Pausan. IV.) ; il y a de sous-entendu statim (in tempore stante, adstante, præsente, dans l’instant même) ; quel instant ? ut Pausanias audivit, &c. ainsi Pausanias audivit Argilium confugisse in aram est une proposition incidente déterminative de l’antécédent sousentendu statim, dont la signification est en soi indéterminée.

On ne doit donc pas avancer généralement & sans restriction, comme a fait l’auteur de la Logique ou l’art de penser, que les propositions incidentes sont celles dont le sujet est qui. Outre que l’on vient de voir qu’une simple conjonction est souvent le lien de la proposition incidente avec son antécédent, il est certain encore que le pronom conjonctif n’est pas