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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/660

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L’incrustation ne doit pas être confondue avec la pétrification ; cependant elle peut contribuer beaucoup à nous faire connoître la maniere dont elle s’opere. Les incrustations varient avec la nature de la terre qui a été dissoute, ou du moins divisée par les eaux ; mais les incrustations les plus ordinaires sont calcaires, parce qu’il n’y a point de terre qui soit plus disposée à être mise en dissolution que la terre calcaire. Il y a aussi des incrustations ochracées ou couleur d’ochre, parce que la terre dont les eaux étoient chargées étoit mêlée de parties ferrugineuses qui se sont déposées avec elle sur les corps qui séjournent dans ces eaux, & ont formé peu-à-peu une croûte ou enveloppe autour d’eux : de cette derniere espece sont les incrustations fameuses qui se font dans les eaux thermales des bains de Carlsbade en Bohème ; elles se forment très-promptement, & prennent assez exactement la figure des plantes, des bois & des autres corps qu’on y laisse tremper ; elles sont d’un beau rouge pourpre ou foncé. Les eaux d’Arcueil, près de Paris, ont aussi la propriété de former très-promptement une croûte autour des corps qu’on y laisse séjourner, & elles bouchent au bout d’un certain tems les tuyaux de plomb par où elles passent.

Il y a aussi des incrustations métalliques ; telles sont celles que l’on voit sur certaines pierres, sur lesquelles on remarque un enduit ou une croûte de pyrite ou de cuivre ; mais celles-là sont formées par les exhalaisons minérales. Voyez Mines.

On appelle aussi incrustations l’enduit qui se forme peu-à-peu sur les parois des grottes & des cavernes : ces dernieres doivent leur origine aux eaux chargées de sucs lapidifiques, qui suintent au-travers des rochers & y déposent la partie terreuse, qui se durcit à l’air, & forme une croûte que l’œil peut aisément distinguer de la roche ou pierre à laquelle elle s’est attachée : c’est ainsi que se forment les stalactites. Voyez Stalactite.

Dans les chambres graduées des salines, où l’on fait passer l’eau chargée de sel par-dessus des fagots ou des épines, il se forme aussi au bout de quelque-tems autour de ces corps des incrustations qui ont exactement la figure du corps autour duquel elles se sont incrustées. L’on voit quelquefois des nids d’oiseaux, des branches, &c. qui sont ainsi incrustés, & que les personnes peu instruites regardent comme des pétrifications rares & singulieres.

Tout le monde a un exemple familier de l’incrustation dans l’enduit qui se forme journellement sur les parois des vaisseaux dans lesquels on fait bouillir de l’eau ; on voit que leur intérieur se tapisse d’une croûte terreuse, qui à la longue prend la consistence d’une pierre. (—)

Incrustation, (Archit. rom.) en latin incrustatio, ou tectorium opus, dans Vitruve ; sorte d’enduit dont les murs, les planchers, les toîts, les pavés, les frises & autres parties des temples, des palais & des bâtimens étoient couvertes comme un pain l’est de croûte.

On distinguoit chez les Romains quatre sortes d’incrustations principales, qui composoient ce genre d’ornement, & dont le lecteur ne sera pas fâché d’être instruit.

La premiere espece se faisoit d’un simple enduit de mortier ; si c’étoit de chaux, les Architectes romains qui ne s’en servoient qu’à blanchir, le nommoient albarium opus ; s’il y avoit du sablon, de l’arene mêlée avec de la chaux, arenatum ; & si c’étoit du marbre battu & pulvérisé, marmoratum : c’est de telles incrustations que Pline parle liv. XXXVI, chap. xxiij, quand il dit : Tectorium, nisi ter arenato, & bis marmorato inductum est, non satis splendoris habet. Voilà la seule incrustation connue dans le siecle

des Curtius & des Fabricius ; mais cette simplicité ne dura pas longtems.

La seconde espece d’incrustation qui suivit de près, s’exécutoit avec des feuilles de marbre appliquées sur la surface des murs. Les maisons des grands en furent parées sur la fin de la république. Cornelius Népos veut que Mamurra, chevalier romain, surintendant des architectes de Jules-César dans les Gaules, soit le premier qui revêtît sa maison du mont Coelius de feuilles de marbre sciées en grandes & fines tables. Lépide & Luculle l’ayant imité, cette invention s’accrut merveilleusement par d’autres citoyens également riches & curieux, & surtout par les empereurs.

On ne se contenta plus d’exposer à la vûe le marbre en œuvre, on commença sous Claude à le peindre ou à le teindre, & sous Néron à le couvrir d’or, & à le mettre en compartimens de couleurs, qu’on diversifioit, pommeloit, mouchetoit, & sur lesquels on faisoit des figures de toutes sortes de fleurs, de plantes & d’animaux. C’est ce que Pline, liv. XXXV, chap. j. nous apprend dans son style pittoresque : Jam verò pictura in totum marboribus pulsa jam quidem & auro : nec tantùm ut parietes toti operiantur, verùm & interraso marmore, vermiculatis ad effigies rerum & animalium crustis. Non placent jam abaci, non spatia montis in cubiculo delitentia. Coepimus & lapidem pingere. Hoc Claudii principatu inventum, Neronis verò, maculas, quæ non essent, in crustis inserendo, unitatem variare : ut ovatus esset Numidicus ; ut purpur â distingueretur Synnadicus, qualiter illos nasci optarent delitiæ : montium hæc subsidiæ deficientium.

Pline veut dire dans ce bel endroit, que les esprits des Romains de ce tems-là étoient tellement portés par le luxe à ce genre de recherches, qu’ils ne goûtoient plus les grandes tables de marbre quarrées, (abacos) ni celles qui décoroient leurs appartemens, si elles n’étoient peintes ou teintes de couleurs étrangeres. Les marbres de Numidie & de Synnada en Phrygie, qui étoient les plus précieux de tous, ne leur paroissoient plus assez beaux, à cause de leur simplicité. Il falloit marqueter, diaprer, jasper de plusieurs couleurs ceux que la nature avoit produits d’une seule. Il falloit que le marbre numidien fût chargé d’or, & le synnadien teint en pourpre : ut ovatus esset numidicus, ut purpurâ distingueretur synnadicus ; on sous-entend lapis, qui précede un peu plus haut. Dupinet transformant, comme un autre Deucalion, des pierres en des hommes, a pris les deux mots numidicus & synnadicus pour deux citoyens romains, l’un décoré du triomphe, qu’on appelloit ovatio, & l’autre revêtu de pourpre.

Les marbres numidien & synnadien sont les mêmes que Stace appelle lybicum, phrygiumque silicem, dont la maison de Stella Violantilla étoit toute incrustée, ainsi que du marbre verd de Lacédémone.

Hîc libycus phrygiusque silex ; hîc dura Laconum
Saxa virent.

Le marbre de Numidie, ovatus, signifie auratus, chargé d’or, parce qu’on doroit le marbre avec du blanc-d’œuf, comme on dore le bois avec de l’or en couleur.

Pour ce qui est de la teinture des marbres, cet art étoit déja monté à une telle perfection, que les ouvriers de Tyr & de Lacédémone, si supérieurs dans la teinture du pourpre, portoient envie à la beauté & à l’éclat de la couleur purpurine qu’on donnoit aux marbres. C’est Stace qui nous en assure encore.

Rupesque nitent, queis purpura sæpe
Obalis, & Tyrii moderator livet ahene.

Le troisieme genre d’incrustation dont les Romains décoroient leurs bâtimens en dedans & en dehors,