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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/679

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Les alimens indigestes de la premiere classe exercent presque infailliblement leur opération malfaisante sur les sujets délicats, élevés mollement, peu exercés, &c. mais pourtant sains, du moins à cela près, voyez Santé, & sont au contraire éminemment convenables aux sujets vigoureux, menant une vie dure, laborieuse, &c. & réciproquement ceux de la seconde classe sont tout aussi communément funestes aux sujets vigoureux, & utiles aux sujets foibles. Voyez Doux, Diete & Régime. (b)

Indigestion. s. f. (Medec.) Ce mot composé est proprement françois, quoiqu’il soit formé du simple digestio qui est latin, & de la particule privative latine in. (Le mot indigestio que quelques medecins ont employé dans des ouvrages latins, est un vrai barbarisme). Notre indigestion est l’affection que les Grecs ont appellée ἀπεψία & δυσπεψία, & les latins cruditus : car les différences attachées à ces divers noms méritant peu de considération, peuvent être négligées sans scrupule.

L’indigestion est une espece particuliere de digestion viciée, vicieuse ou lésée ; savoir, la nullité, ou du moins la très-grande imperfection de la digestion des alimens ; & ce mot ne désigne pas seulement ce vice considéré en soi & strictement, mais l’ensemble de tous les accidens, c’est-à-dire la maladie dont il est cause. Au reste, les noms les plus usités de la plûpart des maladies sont pris dans la même acception : il est tout commun dans le langage de la Médecine de prendre comme ici la cause pour l’effet. L’indigestion est donc une incommodité ou une maladie quelquefois très-grave, dont la cause évidente est la présence des alimens non digérés dans l’estomac.

L’indigestion simple ou légere, celle que nous venons d’appeller une incommodité, voyez Incommodité, s’annonce par un sentiment de pesanteur dans l’estomac, par des rapports chargés du goût & de l’odeur, ou même de quelques parties des alimens contenus dans l’estomac ; par des nausées, par des douleurs d’entrailles, par une gêne quelquefois assez considérable dans la respiration ; par la pâleur du visage, des angoisses, & même des défaillances ; par un pouls lent, petit, serré, frémissant, stomachal. Tous ces symptomes se manifestent dans un tems plus ou moins éloigné du repas qui les occasionne ; ordinairement quatre ou cinq heures après ce repas ; quelquefois beaucoup plus tard, & même après plusieurs heures d’un sommeil assez tranquille.

L’indigestion grave & vraiment maladive est accompagnée du gonflement de l’estomac, des hypochondres, de tout le bas-ventre ; de borborygmes ou flatuosités que les malades tentent envain de chasser par les voies ordinaires ; de respiration difficile, ronflante, sifflante ou entrecoupée ; d’affection soporeuse, de convulsions, de délire, de fievre.

Je divise l’indigestion en nécessaire & en accidentelle.

J’appelle nécessaire ou infaillible celle qu’éprouvent des sujets chez qui la digestion des alimens quelconques est essentiellement impossible ; comme chez ceux qui ont le pylore fermé ou considérablement retréci ; l’estomac desséché, racorni, calleux, ou dans un relâchement absolu, une espece d’atonie, de paralysie (image sous laquelle on peut se représenter l’état de l’estomac de certains vieillards qui, après avoir été très-voraces, ont presque absolument perdu la faculté de digérer) ; chez ceux encore dont l’estomac est comprimé par une tumeur considérable des parties voisines ; ou bien blessé, abscédé, déplacé, &c.

J’appelle indigestion accidentelle, celle qui arrive dans les sujets vraiment sains, ou qui n’ont point de disposition maladive bien décidée ; ou bien qui,

quoique réellement malades, ne sont point incapables de digérer sous certaine circonstances, comme celles d’une certaine consistence des alimens, d’une certaine quantité, &c. Ainsi, quoique dans les fievres aiguës & dans les grandes plaies suppurantes, par exemple, l’indigestion soit une suite presque infaillible de l’usage des alimens solides, cependant les alimens liquides se digerent suffisamment dans ce cas, &c.

Nous avons déja suffisamment indiqué les causes de l’indigestion infaillible ; celles de l’indigestion accidentelle ont été divisées avec raison en causes extérieures, & en dispositions particulieres du sujet affecté. Les causes de ces deux classes peuvent agir séparément & indépendamment les unes des autres. Elles peuvent aussi concourir, agir ensemble, ce qui est le cas le plus ordinaire.

Les causes extérieures des indigestions sont principalement les erreurs de régime que les auteurs de diete réduisent à ces chefs par rapport aux alimens : manger trop ; manger des alimens indigestes, voyez Indigeste, ou des mélanges incongrus d’alimens, voyez Régime ; manger mal-à-propos, ou lorsqu’il ne faut point, comme lorsqu’on n’a pas encore digéré le repas précédent, ou même pour plusieurs sujets très-sains & bien vigoureux, manger à des heures insolites. C’est encore, selon des auteurs, une erreur grave dans l’usage des alimens d’intervertir l’ordre dans lequel on doit les prendre. Mais les observations & les lois qu’ils nous ont laissées sur cet ordre prétendu sont absolument précaires & démenties par l’expérience journaliere, voyez Régime. Boire excessivement pendant le repas, même la liqueur la plus innocente en soi, comme l’eau fraîche ; & boire peu de tems après le repas, sont aussi des causes communes d’indigestion. L’ivresse contractée en mangeant, en est une cause bien plus fréquente encore : quant à l’usage des autres choses non-naturelles, l’exercice violent, & même l’exercice modéré chez les uns, le repos & le sommeil chez les autres, l’acte vénérien, un accès de passion violente, un froid soudain, &c. toutes ces choses, dis-je, survenant au repas, sont des causes communes d’indigestion.

Les dispositions particulieres sont, outre l’état évident de maladie dont nous avons parlé déja, comme la fiévre aiguë & les grandes plaies suppurantes, sont, dis-je, les intempéries, c’est-à-dire l’état plus ou moins éloigné de l’état sain (voyez Intempérie) de l’estomac & des autres organes qui servent à la digestion, le défaut, l’excès, ou les vices des sucs digestifs, la constitution pituiteuse, humide, lâche, accompagnée d’extrème embonpoint, de paresse, de stupidité, de penchant au sommeil, de cou apoplectique, &c. la disposition passagere de tout le corps acquise par une fatigue excessive, par une grande contention d’esprit, par une passion violente, le dégoût, ou même le manque de faim, l’amas des restes de plusieurs digestions imparfaites précédentes, l’écoulement des regles, un accès d’hémorrhoïdes ou de goutte manquée, ou se préparant laborieusement.

Les causes extérieures agissant seules, c’est-à-dire sur les sujets réellement sains, ne produisent jamais que l’indigestion simple ou légere. Les dispositions particulieres, même les plus légeres, peuvent sans être secondées par aucune cause extérieure, & par les seules révolutions propres à l’économie animale, ou si l’on veut par le mauvais effet d’un grand nombre de digestions toûjours pénibles pour des organes malades ; effet cependant long-tems insensible, sourd, caché, peuvent, dis-je, occasionner de tems-en-tems de vraies indigestions, & même de la pire espece, & d’autant plus graves, qu’elles se seront