Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/734

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ter toutes les fables de l’Astrologie judiciaire, voyez ce mot, les prédictions, les horoscopes, &c. qui ont pris naissance à la même source ; les noms que les poëtes avoient donné aux planetes, en divinisant, pour ainsi dire, les vertus ou les vices de quelques personnes, avoient donné lieu à ces délires des Astrologues, & faisoient penser que Saturne étoit mélancholique, Jupiter gai, Mars belliqueux. On renouvella les anciennes fictions sur les qualités de ces prétendus dieux, qu’on appliqua aux planetes qui les représentoient ; Venus fut libertine, & Mercure voleur. En conséquence, lorsqu’on se proposa de tirer l’horoscope de quelqu’un, on chercha quel astre avoit passé par le méridien dans l’instant de sa naissance ; & sur ce point déterminé, on conclut les qualités, l’état, les mœurs, la fortune future de cette personne ; de façon que si Mars avoit présidé à sa naissance, on pronostiqua du courage, & on assura que l’enfant prendroit le parti des armes. Celui qui naissoit sous Venus, devoit être porté pour les femmes, enclin au libertinage, &c. Tous ces caracteres décidés ne venoient que de l’influence d’un seul astre, & les caracteres composés étoient l’effet de l’influence compliquée de plusieurs astres ; par exemple, si Saturne & Mercure passoient ensemble par le méridien, c’étoit un signe que l’enfant seroit mélancholique & voleur, & ainsi des autres. On prétendit aussi lire dans les constellations les présages de longue vie. Du reste, on tâcha de s’accommoder au goût, au desir, aux penchans des parens. Enfin ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’on réussissoit assez souvent, & qu’on étoit en grand crédit ; tant il est facile de duper, de plaire, de se faire admirer par des prédictions, sur-tout quand on a l’esprit de ne pas les faire positives, & de les envelopper de quelque obscurité. L’enthousiasme étoit si outré pour ces Astrologues, que les rois de France, il n’y a pas encore deux siecles, en entretenoient plusieurs dans leur cour, les combloient d’honneur & de présens, & décidoient sur leurs oracles la paix, la guerre & tous les grands évenemens. Plusieurs savans & des medecins de réputation étoient entichés de ces idées, entr’autres le fameux Cardan, qui poussa fort loin cette prétendue science, & duquel il nous reste une grande quantité d’horoscopes : on assure que son entêtement étoit au point que pour satisfaire à son horoscope qui avoit fixé le jour de sa mort, il se fit mourir par une cruelle abstinence, à la quelle il se condamna lui-même.

Lorsque l’Astrologie ou la doctrine sur l’influence des astres eut été ainsi avilie, que tous ces abus s’y furent glissés, & que les fables les plus grossieres & les plus grandes absurdités eurent pris la place des véritables observations, les bons esprits abandonnerent ce dogme, & le renouvellement des Sciences le fit entierement disparoître. Les opinions nouvelles étant devenues l’idole à la mode, le seul titre d’ancienneté suffisoit aux systèmes pour le faire proscrire ; les medecins devinrent aussi inconsidérés contradicteurs des anciens qu’ils en avoient été pendant plusieurs siecles admirateurs aveugles ; l’influence des astres fut regardée comme une production frivole & chimérique de quelque cerveau affecté par la lune ; & enfin l’on bannit avec une scrupuleuse sévérité des écoles tout ce qui avoit rapport à cette doctrine, sans chercher à approfondir ce qu’il pouvoit y avoir de vrai & d’utile. Enfin, après que le pendule, emblème de l’esprit humain, eut vibré dans les extrémités opposées, il se rapprocha du milieu ; après qu’on se fut porté à ces excès de part & d’autre, l’attrait de la nouveauté dissipé & ses prestiges évanouis, on rappella quelques anciens dogmes, on prit un chemin plus juste & plus assuré

sans suivre indistinctement tous les anciens dogmes ; on tâcha de les vérifier : quelques observations bien constatées, firent appercevoir au docteur Mead une certaine correspondance entre quelques phénomenes de l’économie animale & les périodes de la lune. Il suivit cette matiere, fit des recherches ultérieures, & se convainquit de la réalité d’un fait qu’on n’osoit plus soupçonner. Il communiqua ses idées dans une petite, mais excellente dissertation, dont le titre est de l’empire du soleil & de la lune sur le corps humain. Deux illustres medecins anglois, Goad & Kook, s’appliquerent ensuite à examiner le pouvoir & la force des planetes à produire les vents, les pluies & les autres variations dans l’atmosphere, en conséquence de leurs positions & de leurs aspects, soit avec la lune, soit principalement entre elles. Frédéric Hoffman assure avoir vérifié leurs observations, & les avoir trouvées conformes à l’expérience : dissert. de astror. influx. in corpore humano. Urbain Hierne, célebre chimiste de nos jours, a de nouveau introduit l’influence des astres dans la Chimie ; il prétend que les trois fameux principes, le sel, le soufre & le mercure dont tout corps visible & compréhensible est composé, résultent des mélanges des émanations des astres & de quelques élémens sublunaires : « La lumiere, dit il, être immatériel émané du soleil, parvenue sur la surface des planetes, se combine avec les vapeurs qui s’en élevent, avec l’eau supra-céleste qui entre dans leur composition, se matérialise par-là, & prend un caractere particulier encore indéterminé suivant les planetes qui la réfléchissent ». C’est de cette combinaison variée que viennent les différentes influences propres à chaque planete ; il regarde, avec Moïse, la lumiere comme leur véhicule ; mais avant de parvenir à la terre, cette lumiere déja matérialisée par l’union des atomes élevés des autres planetes, reçoit de nouvelles combinaisons dans la lune, qu’il appelle, d’après les anciens rabins, l’entonnoir de la nature, d’où elle est enfin renvoyée sur la terre, particulierement chargée de l’efficacité de cette planete secondaire qui se manifeste sur la mer, les saisons, les humeurs, les maladies, & les autres choses qui obéissent à la lune. C’est cette même lumiere qui, selon ce savant chimiste, s’unissant à la matiere éthérée, à l’air plus crasse, à l’eau qui y est contenue, ensuite à l’acide universel, forme le sel qu’il appelle astral, naturel, vierge. Des différentes solutions, décompositions & récompositions de ce sel résulte le soufre de l’univers, l’ame du monde, fils du soleil, &c. enfin l’union amicale de ces deux substances primitives donne naissance à une créature d’une nature particuliere, qu’il appelle mercure catholique. Voyez Mercure, Sel & Soufre ; voyez aussi l’ouvrage de Hierne, act. chimic. Holmiens. tom. I. cap. vj. avec les notes de Gotschalk Valerius. M. de Sauvages, fameux professeur en l’université de Medecine de Montpellier, fit soutenir dans ses écoles une thèse sur l’influence des astres, où il tâche, guidé par l’observation, à l’exemple de Mead, de prendre un juste milieu entre les éloges excessifs des Medecins astrologues & le mépris outré des nouveaux théoriciens.

Telle est à-peu-près l’histoire des vérités, des conjectures, des erreurs & des folies qui ont pris naissance de l’influence des astres ; histoire toujours curieuse & intéressante pour le philosophe, qui y voit retracé le tableau constant & varié des variations de l’esprit humain. Le medecin y découvre sous d’autres couleurs les mêmes scenes qui se sont passées à l’égard de plusieurs autres dogmes théoriques, & quelquefois, qui pis est, pratiques de Médecine. Quoique ces opinions ayent fait moins de bruit, quoique leur absurdité ait moins paru à dé-