Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/811

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gent le plus souvent de la discussion & instruction des affaires sur lesquelles ils font des procès-verbaux, & donnent des ordonnances pour faire venir devant eux les personnes intéressées, ou pour autres objets semblables.

Mais leurs ordonnances ne sont réputées que des avis à l’intendant ; & si les parties ont à s’en plaindre, elles ne se peuvent adresser qu’à lui. Il n’est permis de se pourvoir par appel, que contre celles que l’intendant rend sur ces procès-verbaux de ses subdélégués ; il n’y a que les ordonnances d’un subdélégué général, dont l’appel puisse être reçu au conseil, parce qu’il a une commission du grand sceau, qui l’autorise à remplir toutes les fonctions de l’intendant ; mais ces commissions ne se donnent que quand l’intendant est hors d’état de vaquer à ses fonctions par lui-même, comme en tems de guerre, lorsqu’il est obligé de suivre les armées en qualité d’intendant d’armée. (A)

L’autorité des intendans est, comme on le voit, très-étendue dans les pays d’élection, puisqu’ils y décident seuls de la répartition des impôts, de la quantité & du moment des corvées, des nouveaux établissemens de commerce, de la distribution des troupes dans les différens endroits de la province, du prix & de la répartition des fourrages accordés aux gens de guerre ; qu’enfin c’est par leur ordre & par leur loi que se font les achats des denrées, pour remplir les magasins du roi ; que ce sont eux qui président à la levée des milices, & décident les difficultés qui surviennent à cette occasion ; que c’est par eux que le ministere est instruit de l’état des provinces, de leurs productions, de leurs débouchés, de leurs charges, de leurs pertes, de leurs ressources, &c. qu’enfin sous le nom d’intendans de justice, police & finances, ils embrassent presque toutes les parties d’administration.

Les états provinciaux sont le meilleur remede aux inconveniens d’une grande monarchie ; ils sont même de l’essence de la monarchie, qui veut non des pouvoirs, mais des corps intermédiaires entre le prince & le peuple. Les états provinciaux font pour le prince une partie de ce que feroient les préposés du prince ; & s’ils sont à la place du préposé, ils ne veulent ni ne peuvent se mettre à celle du prince ; c’est tout au plus ce que l’on pourroit craindre des états généraux.

Le prince peut avoir la connoissance de l’ordre général, des lois fondamentales, de sa situation par rapport à l’étranger, des droits de sa nation, &c.

Mais sans le secours des états provinciaux, il ne peut jamais savoir quelles sont les richesses, les forces, les ressources ; ce qu’il peut, ce qu’il doit lever de troupes, d’impôts, &c.

En France, l’autorité du roi n’est nulle part plus respectée que dans les pays d’états : c’est dans leurs augustes assemblées où elle paroît dans toute sa splendeur. C’est le roi qui convoque & révoque ces assemblées ; il en nomme le président, il peut en exclure qui bon lui semble : il y est présent par ses commissaires. On n’y fait jamais entrer en question les bornes de l’autorité ; on ne balance que sur le choix des moyens d’obéir, & ce sont les plus prompts que d’ordinaire on choisit. Si la province se trouve hors d’état de payer les charges qu’on lui impose, elle se borne à des représentations, qui ne sont jamais que l’exposition de leur subvention présente, de leurs efforts passés, de leurs besoins actuels, de leurs moyens, de leur zele & de leur respect. Soit que le roi persévere dans sa volonté, soit qu’il la change, tout obéit. L’approbation que les notables qui composent ces états, donnent aux demandes du prince, servent à persuader aux peuples qu’elles étoient justes & nécessaires ; ils sont intéressés à faire obéir le peuple

promptement : on donne plus que dans les pays d’élection, mais on donne librement, volontairement, avec zele, & on est content.

Dans les pays éclairés par la continuelle discussion des affaires, la taille sur les biens s’est établie sans difficulté ; on n’y connoît plus les barbaries & les injustices de la taille personnelle. On n’y voit point un collecteur suivi d’huissiers ou de soldats épier s’il pourra découvrir & faire vendre quelques lambeaux qui restent au misérable pour couvrir ses enfans, & qui sont à peine échappés aux exécutions de l’année précédente. On n’y voit point cette multitude d’hommes de finance qui absorbe une partie des impôts & tyrannise le peuple. Il n’y a qu’un trésorier général pour toute la province ; ce sont les officiers préposés par les états ou les officiers municipaux qui, sans frais, se chargent de la régie.

Les trésoriers particuliers des bourgs & des villages ont des gages modiques ; ce sont eux qui perçoivent la taille dont ils répondent ; comme elle est sur les fonds, s’il y a des délais, ils ne risquent point de perdre leurs avances, ils les recouvrent sans frais ; les délais sont rares, & les recouvremens presque toujours prompts.

On ne voit point dans les pays d’états trois cent collecteurs, baillis ou maires d’une seule province, gémir une année entiere & plusieurs mourir dans les prisons, pour n’avoir point apporté la taille de leurs villages qu’on a rendus insolvables. On n’y voit point charger de 7000 liv. d’impôts un village, dont le territoire produit 4000 livres. Le laboureur ne craint point de jouir de son travail, & de paroître augmenter son aisance ; il sait que ce qu’il payera de plus sera exactement proportionné à ce qu’il aura acquis. Il n’a point à corrompre ou à fléchir un collecteur ; il n’a point à plaider à une élection de l’élection, devant l’intendant de l’intendant au conseil.

Le roi ne supporte point les pertes dans les pays d’états, la province fournit toujours exactement la somme qu’on a exigée d’elle ; & les répartitions faites avec equité, toujours sur la proportion des fonds, n’accable point un laboureur aisé, pour soulager le malheureux que pourtant on indemnise.

Quant aux travaux publics, les ingénieurs, les entrepreneurs, les pionniers, les fonds enlevés aux particuliers, tout se paye exactement & se leve sans frais. On ne construit point de chemins ou de ponts, qui ne soient utiles qu’à quelques particuliers : on n’est point l’esclave d’une éternelle & aveugle avarice.

S’il survient quelques changemens dans la valeur des biens ou dans le commerce, toute la province en est instruite, & on fait dans l’administration les changemens nécessaires.

Les ordres des états s’éclairent mutuellement, aucun n’ayant d’autorité, ne peut opprimer l’autre ; tous discutent, & le roi ordonne. Il se forme dans ces assemblées des hommes capables d’affaires ; c’est en faisant élire les consuls d’Aix, & exposant à l’assemblée les intérêts de la Provence, que le cardinal de Janson étoit devenu un célebre négociateur.

On ne traverse point le royaume sans s’appercevoir de l’excellente administration des états, & de la funeste administration des pays d’élection. Il n’est pas nécessaire de faire de question ; il ne faut que voir les habitans des campagnes, pour savoir si on est en pays d’état, ou en pays d’élection ; de quelle ressource infinie ces pays d’états ne sont-ils pas pour le royaume !

Comparez ce que le roi tire de la Normandie, & ce qu’il tire du Languedoc, ces provinces sont de même étendue, les sables & l’aridité de la derniere envoient plus d’argent au trésor royal que