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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/821

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ce défaut & ses contradictions ; parce que ses maximes sont souvent vraies dans un sens ; parce que l’abus des mots n’a été apperçu que par fort peu de gens ; parce qu’enfin le livre étoit en maximes : c’est la folie des moralistes de généraliser leurs idées, de faire des maximes. Le public aime les maximes, parce qu’elles satisfont la paresse & la présomption ; elles sont souvent le langage des charlatans répété par les dupes. Ce livre de M. de la Rochefoucault, celui de Pascal, qui étoient entre les mains de tout le monde, ont insensiblement accoutumé le public français à prendre toujours le mot d’amour-propre en mauvaise part ; & il n’y a pas long-tems qu’un petit nombre d’hommes commence à n’y plus attacher nécessairement les idées de vice, d’orgueil, &c.

Milord Shafsburi a été accusé de ne compter dans l’homme l’amour-propre pour rien, parce qu’il donne continuellement l’amour de l’ordre, l’amour du beau moral, la bienveillance pour nos principaux mobiles ; mais on oublie qu’il regarde cette bienveillance, cet amour de l’ordre, & même le sacrifice le plus entier de soi-même, comme des effets de notre amour-propre. Voyez Ordre. Cependant il est certain que milord Shafsburi exige un desinteressement qui ne peut être ; & il ne voit pas assez que ces nobles effets de l’amour-propre, l’amour de l’ordre, du beau moral, la bienveillance, ne peuvent qu’influer bien peu sur les actions des hommes vivans dans les sociétés corrompues. Voyez Ordre.

L’auteur de livre de l’Esprit a été fort accusé en dernier lieu, d’établir qu’il n’y a aucune vertu ; & on ne lui a pas fait ce reproche pour avoir dit que la vertu est purement l’effet des conventions humaines, mais pour s’être presque toûjours servi du mot d’intérêt à la place de celui d’amour-propre : on ne connoît pas assez la force de la liaison des idées, & combien un certain son rappelle nécessairement certaines idées ; on est accoutumé à joindre au mot d’intérêt, des idées d’avarice & de bassesse ; il les rappelle encore quelquefois quand on voit qu’il signifie ce qui nous importe, ce qui nous convient : mais quand même il ne rappelleroit pas ces idées, il ne signifie pas la même chose que le mot amour propre.

Dans la société, dans la conversation, l’abus des mots amour-propre, orgueil, intérêt, vanité, est encore bien plus fréquent ; il faut un prodigieux fonds de justice, pour ne pas donner à l’amour-propre de nos semblables, qui ne s’abaissent pas devant nous, & qui nous disputent quelque chose, ces noms de vanité, d’intérêt, d’orgueil.

* Intérêt, s. m. (Littérat.) l’intérêt dans un ouvrage de littérature, naît du style, des incidens, des caracteres, de la vraissemblance, & de l’enchaînement.

Imaginez les situations les plus pathétiques ; si elles sont mal amenées, vous n’intéresserez pas.

Conduisez votre poëme avec tout l’art imaginable ; si les situations en sont froides, vous n’intéresserez pas.

Sachez trouver des situations & les enchaîner ; si vous manquez du style qui convient à chaque chose, vous n’intéresserez pas.

Sachez trouver des situations, les lier, les colorier ; si la vraissemblance n’est pas dans le tout, vous n’intéresserez pas.

Or vous ne serez vraissemblable, qu’en vous conformant à l’ordre général des choses, lorsqu’il se plaît à combiner des incidens extraordinaires.

Si vous vous en tenez à la peinture de la nature commune, gardez partout la même proportion qui y règne.

Si vous vous élevez au-dessus de cette nature, & que vos êtres soient poëtiques, aggrandis ; que tout

soit réduit au module que vous aurez choisi, & que tout soit aggrandi en même proportion : il seroit ridicule de mettre une gerbe de petits épis, tels qu’ils croissent dans nos champs, sous le bras d’une Cerès à qui l’on auroit donné sept à huit piés de haut.

J’ai entendu dire à des gens d’un goût foible et mesquin, & qui ramenant tout à l’imitation rigoureuse de la nature, regardoient d’un œil de mépris les miracles de la fiction ; jamais femme s’est-elle écriée comme Didon ?

At pater omnipotens adigat me fulmine ad umbras,
Pallentes umbras erebi noctemque profundam,
Ante pudor quam te violo aut tua jura resolvo ;

« Que le pere des dieux me frappe de sa foudre ; qu’il me précipite chez les ombres, chez les pâles ombres de l’érebe & dans la nuit profonde, avant, ô pudeur, que je renonce à toi, & que je viole tes lois sacrées ».

Ils n’entendoient rien à ce ton emphatique ; faute de connoître la vraie proportion des figures de l’Enéïde ; ils rejetoient de ce morceau tout ce qui caractérise le génie, le premier & le second vers, & ils ne s’accommodoient que de la simplicité du dernier. Ce poëme étoit sans intérêt pour eux.

Intérêt, s. m. (Arith. & Algéb.) 1. L’intérêt est le profit que tire le créancier du prêt de son argent(ou de tel autre meuble). Il varie suivant les conventions faites avec l’emprunteur.

2. Il y a deux manières d’énoncer l’intérêt, sur lesquelles il est important de se faire des idées nettes.

On dit tantôt que l’intérêt est à tant pour % par an (ou tel autre terme).
tantôt que l’intérêt est à tel denier.

Suivant la première manière, on entend assez qu’autant de fois que 100 est contenu dans le capital, autant de fois on tire pour l’intérêt le nombre désigné par tant.

Suivant la seconde, il faut entendre qu’autant de fois que le nombre qui marque le denier est contenu dans le capital, autant de fois on tire un d’intérêt. Ainsi le denier étant 18, l’intérêt est 1 pour 18.

3. Il est toujours facile de réduire l’une de ces expressions à l’autre. Pour cela, prenant 100 pour dividende constant des deux autres nombres (savoir celui qui exprime à combien pour % est l’intérêt & celui qui exprime le denier) l’un étant le diviseur, l’autre est le quotient, par exemple,

Si l’intérêt est à 4 pour %, le denier sera .

Le denier étant 20, l’intérêt sera à pour %.

Si le diviseur n’est pas sousmultiple de 100, il est clair que le quotient sera une fraction. Ainsi, L’intérêt étant à 3 pour %, le denier sera . Le denier étant 18, l’intérêt sera à pour %.

4. On distingue deux sortes d’intérêts ; le simple, & celui que j’appelle redoublé ou composé.

Le premier est celui qui se tire uniformément sur le premier capital, sans pouvoir devenir capital lui-même, ni produire intérêt.

Le second est quand l’intérêt échu passe en nature de capital, & produit lui-même intérêt.

5. Dans toutes les questions de l’un & de l’autre genre, il entre nécessairement cinq éléments.

Le capital, que je nommerai a.
Le nombre (arbitraire, mais communément 100) sur lequel on suppose que se tire l’intérêt qui sera désigné par d.
L’intérêt qui se tire sur ce nombre i.
Le tems que le capital a été gardé t.
Ce qui revient, tant en capital qu’intérêt, au bout du temps supposé r.

6. De l’intérêt simple. Pour avoir r.