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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/828

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de faire baisser l’intérêt de l’argent dont la masse étoit augmentée ; il le réduisit au denier 20 où il est encore. Louis XIV. donne dans son édit les mêmes motifs de réduction qu’avoient donné Henri IV. & Louis XIII. il y a de plus ces mots remarquables. La valeur de l’argent étant fort diminuée par la quantité qui en vient journellement des Indes, il faut pour mettre quelque proportion entre l’argent & les choses qui tombent dans le commerce, &c.

On voit que les principes établis au commencement de cet article ont été ceux de ces grands administrateurs dont la France bénit encore la mémoire. On sait combien l’agriculture fleurit sous le ministere de Sulli, & à quel point étoient parvenues nos manufactures sous celui de Colbert. Le commerce prit sous lui un nouvel éclat, & l’agriculture auroit eu le même sort si la guerre n’avoit pas obligé le ministere d’établir de nouveaux impôts, ou seulement s’il avoit plus été le maître de la maniere d’établir les impôts, & de leur espece. Voyez Impots.

Est-il permis d’examiner d’après ces principes & ces faits, si le moment d’une réduction nouvelle n’est pas arrivé.

Il est connu qu’il y a en France à-peu-près le tiers d’argent de plus que sous le ministere de Colbert.

Les Anglois, Hollandois, Hambourgeois ont baissé chez eux l’intérêt de l’argent, & chez ces nations commerçantes il est généralement à 3 pour cent, & quelquefois au-dessous.

Jamais il n’y eut en France plus d’hommes vivans de rentes en argent, & de-là bornés à recevoir, à jouir, & inutiles à la société.

Il faut faire baisser le prix de l’argent, pour avoir un plus grand nombre de commerçans qui se contentent d’un moindre profit, pour que nos marchandises se vendent à un moindre prix à l’étranger ; enfin pour soutenir la concurrence du commerce avec les nations dont je viens de parler.

Il faut faire baisser le prix de l’argent pour délivrer l’agriculture, l’industrie, le commerce de ce fardeau énorme de rentes qui se prennent sur leur produit.

Il faut faire baisser le prix de l’argent pour soulager le gouvernement qui fera dans la suite les entreprises à meilleur compte, & paiera une moindre somme pour les rentes dont il est chargé.

Avant la derniere guerre l’argent de particulier à particulier commençoit à se prendre à 4 pour cent, & il seroit tombé à un prix plus bas sans les causes que je vais dire.

Premiere raison qui maintient l’intérêt de l’argent à 5 pour cent.

Il y a en France environ 50 à 60 mille charges vénales, dans le militaire, la robe ou la finance ; elles passent sans cesse d’un citoyen à l’autre. Dans les pays où cette vénalité n’est pas introduite, l’argent s’emploie à l’amélioration des terres, aux entreprises du commerce. Parmi nous il est mort pour l’un & pour l’autre ; il forme une masse qui n’entre point dans la circulation de détail, & reste en reserve pour ce grand nombre de citoyens nécessités à faire de gros emprunts, parce qu’il faut acheter des charges.

Deuxieme raison qui maintient l’intérêt de l’argent à 5 pour cent.

Les entreprises pour l’équipement, l’entretien, les hôpitaux, les vivres des flottes & des armées, ont été faites avec un profit très-grand pour les entrepreneurs ; mais sur-tout les profits de la finance sont énormes : les particuliers ont trouvé à placer leur argent à un intérêt si haut, qu’en comparaison l’intérêt de 5 pour cent a paru peu de chose. Plus il y a d’argent à placer à un intérêt excessif, & moins il y en a à prêter à l’intérêt ordinaire.

Troisieme raison qui maintient l’intérêt de l’argent à 5 pour cent.

Les profits de la finance ont accumulé l’argent dans les coffres d’un petit nombre de particuliers ; bien-tôt eux seuls ont eu de l’argent à prêter, & ils l’ont vendu cher à l’état. Il en est de l’argent comme des autres marchandises ; le défaut de concurrence en augmente le prix : les compagnies qui vendent seules certaines étoffes, certaines denrées, les vendent nécessairement trop cher.

Quatrieme raison qui maintient l’intérêt de l’argent à 5 pour cent.

Les fortunes énormes ont amené le luxe dans ceux qui les possedent ; l’imitation l’a répandu dans les classes moins opulentes, qui pour le soutenir sont forcées à de fréquens emprunts.

Cinquieme raison qui maintient l’intérêt de l’argent à 5 pour cent.

L’état est chargé de dettes dont il paye souvent une rente usuraire.

De quelque nécessité qu’il soit en France de faire baisser le prix de l’intérêt de l’argent, si l’autorité faisoit tout-à-coup cette réduction, & sans avoir fait cesser une partie des causes qui ont fixé l’intéret à 5 pour cent, il y auroit peut-être deux inconvéniens à craindre, la diminution du crédit, l’inexécution de la loi.

Cette loi dans un état chargé de dettes comme l’est aujourd’hui la France, paroitroit peut-être dans ce moment une ressource d’un gouvernement épuisé & hors d’état de satisfaire à ses charges.

En jettant de l’inquiétude dans les esprits, elle feroit baisser tous les fonds publics.

Cette loi pourroit n’être pas exécutée ; dans la nécessité où se trouve le militaire & une partie de la nation de faire des emprunts, l’argent ne se prêteroit plus par contrat, & les billets frauduleux qui n’assureroient pas les fonds autant que le contrat, seroit un prétexte de rendre la rente usuraire.

On peut dans la suite éviter ces inconvéniens.

1°. En supprimant & remboursant une multitude prodigieuse de charges inutiles & onéreuses à l’état.

2°. En remboursant sans les supprimer les charges utiles.

3°. En diminuant prodigieusement les profits de la finance, & en faisant circuler l’argent dans un plus grand nombre de mains.

Alors le luxe de tous les états tombera de lui-même.

Alors les emprunts seront plus rares, moins considérables & plus faciles ; alors on pourra sans inconvénient mettre l’intérêt de l’argent au même degré qu’il est chez nos voisins.

Peut-être dès ce moment, sans altérer le crédit, sans jetter les citoyens dans la nécessité d’enfraindre ou d’éluder la loi, pourroit-on mettre l’argent à 4 pour cent.

On pourroit faire procéder cette opération par quelque opération qui assureroit le crédit, comme seroit une légere diminution des tailles, ou la suppression d’un de ces impôts qui sont plus onéreux au peuple que fertiles en argent.

D’ailleurs la loi étant générale pour les particuliers comme pour le prince, elle pourroit être censée faite non à cause de l’épuisement du gouvernement, mais pour le bien du commerce & de l’agriculture, & par-là elle assureroit le crédit loin de le rabaisser.

Il est certain & démontré que les avantages de cette opération seroient infinis pour la nation dont ils ranimeroient l’agriculture, le commerce & l’industrie ; il est certain qu’ils soulageroient beaucoup le gouvernement qui payeroit en rentes une moindre somme, & cette réduction de l’intérêt de l’argent lui