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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/836

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rio, & en attendant d’entretenir soigneusement la concorde. Il est même bien difficile qu’un peuple, tant soit peu considérable, qui s’est accru & soutenu long-tems sous une espece de gouvernement, pense à dissoudre le lien de la société, pour redevenir une simple multitude sans union civile. D’ailleurs pour détourner les malheurs & les troubles qui peuvent naître de l’anarchie, les états policés ont toujours eu l’attention de désigner d’avance les personnes qui doivent prendre soin de l’administration des affaires publiques durant le cours de l’interregne, c’est ainsi qu’en Pologne il est réglé que pendant l’interregne, l’archevêque de Gnesne avec les députés de la grande & petite Pologne, tiendront en main les rènes du gouvernement.

Lorsqu’on n’a pas pris d’avance les mesures nécessaires pour maintenir l’ordre, en attendant que le gouvernement soit fixe, on y pourvoit d’abord comme on peut, & de cette maniere on continue l’engagement de demeurer uni en un corps de société civile. Voyez la Dissertation de Puffendorf de interregnis.

S’il arrivoit néanmoins une chose, qui étoit très possible dans le commencement, que les états se trouvoient fort petits, s’il arrivoit, dis-je, que le plus grand nombre des peres de famille voulussent rompre l’union civile, & rentrer dans l’indépendance de l’état de nature, il semble qu’ils en seroient les maîtres, sans faire tort aux autres ; en ce cas-là la pluralité des voix auroit autant de force pour rompre l’engagement de vivre en un corps de société civile, que pour décider de la forme du gouvernement à établir. En effet, pendant que le gouvernement, quel qu’il soit, subsiste, son autorité maintient la force de la premiere convention, à l’égard de tous en général & de chacun en particulier, par une suite nécessaire de la souveraineté. Mais du moment qu’il n’y a plus de gouvernement fixe, ni de gouvernement établi par provision, il ne reste d’autre moyen de décider ce qu’il convient de faire pour le bien public, en vûe duquel toute société civile se contracte, que la volonté du plus grand nombre. (D. J.)

INTERREX, s. m. (Hist. rom.) sénateur qui étoit revêtu par élection pour cinq jours de l’autorité suprème, pendant la vacance du trône, & sous la république, dans le cas de quelque anarchie, au défaut d’un dictateur.

Ce nom est proprement latin, mais il faut bien s’en servir dans notre langue puisque nous n’en avons aucun qui lui réponde ; gouverneur, régent & même entre-roi, ne rendent point le nom interrex, & ne peuvent le rendre, attendu la différence de nos gouvernemens avec celui de Rome.

Toutet les fois que dans le commencement de cette république l’élection d’un roi ne se faisoit pas sur le champ, & qu’il y avoit un interregne, le pouvoir cessoit entre les mains des sénateurs, qui choisissoient un chef pour gouverner l’état avec toutes les marques de la dignité royale ; on appelloit le patricien qui en étoit honoré interrex. C’étoit lui qui assembloit le peuple pour procéder à l’élection d’un nouveau roi ; mais sa charge ne duroit que cinq jours, au bout desquels on en déclaroit un autre, si la vacance du trône n’étoit pas remplie. On disoit déclarer l’interrex plutôt qu’élire : le mot consacré étoit, prodere interregem.

Il est vrai cependant que les Historiens ne sont point d’accord sur la maniere dont les sénateurs distribuerent entre eux l’exercice de l’autorité suprème, dans l’interregne qui subsista une année entiere après la mort de Romulus. Denys d’Halicarnasse assure que chaque sénateur fut interrex cinq jours de suite. Tite-Live marque que les sénateurs s’étant partagés en dixaines, chaque dixaine commandoit alternati-

vement durant cinq jours ; mais qu’il n’y en avoit

qu’un de ces dix qui portât les marques de la souveraineté, & qui fît marcher devant lui les licteurs avec les haches & les faisceaux.

Le commandement de l’armée après la mort de Romulus, fut prolongé pour un an aux consuls, & le sénat nomma pour premier interrex Cn. Claudius, fils d’Appius. Ce fut sur la fin de cet interregne, que celui qui en fit le dernier la fonction, adressant la parole au peuple en pleine assemblée, lui tint ce discours remarquable : « Elisez donc un roi, Romains, le sénat y consent ; & si vous faites choix d’un prince digne de succéder à Romulus, le sénat le confirmera ».

Après l’établissement de la république sous les consuls, quoiqu’il n’y eût plus de rois, on garda le nom & la fonction d’interrex ; car lorsque les magistrats étoient absens ou morts, qu’ils ne pouvoient tenir les comices, qu’ils avoient abdiqué, qu’il y avoit eu quelque défaut dans leur élection, ou qu’en un mot l’état se trouvoit dans une espece d’anarchie, qui ne demandoit pas néanmoins qu’on vînt à créer un dictateur, on déclaroit un interrex pris du nombre des patriciens ; sa fonction ne duroit comme sous la royauté que cinq jours, au bout desquels on en créoit un autre.

Il convoquoit le sénat par son pouvoir, faisoit assembler le peuple pour l’élection des consuls ou des tribuns militaires lorsqu’ils avoient lieu, & veilloit à ce qu’on y procédât dans les regles.

Pendant le tems de sa charge, tous les magistrats, excepté les tribuns du peuple, déposoient leur autorité. En effet il arriva que l’an 700 de la fondation de Rome, ils s’opposerent si fortement à l’élection des consuls que l’interrex ne pouvant les y contraindre, on fut obligé de déclarer Pompée dictateur : c’est-là, je pense, la derniere fois qu’il est parlé de cette magistrature provisionnelle dans l’Histoire romaine. Elle tomba d’elle-même avec la république, quand les empereurs se rendirent maîtres de tout le gouvernement. Voyez si vous voulez, Rosinus, lib. VII. cap. xvj. Pitisci Lexicon antiq. rom. & Midleton, Traité du sénat romain. (D. J.)

INTERROGAT, s. m. (Jurisprud.) terme de palais, se dit des demandes ou interrogations faites par le juge, ou commissaire député, à un accusé ou à une partie civile, lors d’un interrogatoire. Voyez Interrogatoire.

INTERROGATIF, adj. (Gramm.) Une phrase est interrogative, lorsqu’elle indique de la part de celui qui parle, une question plutôt qu’une assertion : on met ordinairement à la fin de cette phrase un point surmonté d’une sorte de petite s retournée en cette maniere (?) ; & ce point se nomme aussi point interrogatif : par exemple,

Fortune, dont la main couronne
Les forfaits les plus inouis,
Du faux éclat qui t’environne
Serons-nous toujours éblouis ? Rousseau.

Où suis-je ? de Baal ne vois-je pas le prêtre ?
Quoi, filles de David, vous parlez à ce traitre ?

Racine.

Quoi qu’en disent plusieurs grammairiens, il n’y a dans la langue françoise aucun terme qui soit proprement interrogatif, c’est-à-dire qui désigne essentiellement l’interrogation. La preuve en est que les mêmes mots que l’on allegue comme tels, sont mis sans aucun changement dans les assertions les plus positives. Ainsi nous disons bien en françois, Combien coûte ce livre ? Comment vont nos affaires ? tendent ces discours ? Pourquoi sommes-nous nés ? Quand reviendra la paix ? Que veut cet homme ? Qui a parlé de la sorte ? Sur quoi est fondée