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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/845

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d’hui l’on n’ajourne plus le juge, mais seulement la partie qui a obtenu gain de cause, cependant le nom d’intimé est demeuré à cette partie.

Dans les appels comme d’abus des sentences rendues à la requête du promoteur, on intime l’évêque ; & dans un appel ordinaire d’une sentence rendue à la requête d’un procureur fiscal, on intime le seigneur.

En procès par écrit, c’est à l’intimé à rapporter la grosse de la Sentence ; mais dans les appellations verbales, c’est à l’appellant.

A la grand’chambre du parlement, l’avocat de l’appellant se met en face des présidens ; celui de l’intimé est près du banc des conseiller-clercs ; cependant la place de l’appellant est regardée comme la premiere, & lui est donnée parce que c’est lui qui saisit la cour ; c’est pourquoi quand un prince du sang ou un duc & pair est intimé, & que l’appellant n’est pas du même rang, l’avocat de l’intimé prend la place où se met ordinairement celui de l’appellant, qui est ce que l’on appelle in loco majorum.

On appelle follement intimé celui qui est intimé sur un appel, quoique la sentence n’ait pas été rendue avec lui. Voyez ci-devant Intimation. (A)

* INTIMIDER, v. act. (Gram.) c’est émouvoir la crainte dans l’ame de quelqu’un. On intimide par l’image d’un danger réel ou d’un danger simulé ; par des menaces sérieuses ou feintes. On intimide aisément des ames foibles. Il n’est guere moins facile de jetter la frayeur dans ceux qui ont l’imagination vive. Ils voyent tout ce qu’on leur veut montrer & quelquefois au-delà. S’ils sont doués d’un grand jugement, l’impression passe, leur ame se rassure, & ils n’en sont que plus fermes. En effet, quelle secousse plus violente peut-on leur donner que celle qu’ils ont reçue ! quels spectres à leur présenter plus effrayans que ceux qu’ils se sont faits !

INTITULÉ, adj. (Jurisprud.) signifie le titre & les qualités d’un acte : on dit l’intitulé d’un inventaire, c’est-à-dire, les qualités des parties comparantes, & le préambule qui précéde la description des effets. (A)

INTOLÉRANCE, s. f. (Morale.) Le mot intolérance s’entend communément de cette passion féroce qui porte à haïr & à persécuter ceux qui sont dans l’erreur. Mais pour ne pas confondre des choses fort diverses, il faut distinguer deux sortes d’intolérance, l’écclésiastique & la civile.

L’intolérance écclésiastique consiste à regarder comme fausse toute autre religion que celle que l’on professe, & à le démontrer sur les toîts, sans être arrêté par aucune terreur, par aucun respect humain, au hasard même de perdre la vie. Il ne s’agira point dans cet article de cet héroïsme qui a fait tant de martyrs dans tous les siecles de l’église.

L’intolérance civile consiste à rompre tout commerce & à poursuivre, par toutes sortes de moyens violens, ceux qui ont une façon de penser sur Dieu & sur son culte, autre que la nôtre.

Quelques lignes détachées de l’Écriture-sainte, des peres, des conciles, suffiront pour montrer que l’intolérant pris en ce dernier sens, est un méchant homme, un mauvais chrétien, un sujet dangereux, un mauvais politique, & un mauvais citoyen.

Mais avant que d’entrer en matiere, nous devons dire, à l’honneur de nos Théologiens catholiques, que nous en avons trouvé plusieurs qui ont souscrit, sans la moindre restriction, à ce que nous allons exposer d’après les autorités les plus respectables.

Tertullien dit apolog. ad scapul. Humani juris & naturalis potestatis est unicuique quod putaverit, colere ; nec alii obest aut prodest alterius religio. Sed nec religionis est cogere religionem quæ sponte suscipi debeat, non vi ; cum & hostiæ ab animo lubenti expostulentur.

Voilà ce que les chrétiens foibles & persécutés représentoient aux idolâtres qui les traînoient aux piés de leurs autels.

Il est impie d’exposer la religion aux imputations odieuses de tyrannie, de dureté, d’injustice, d’insociabilité, même dans le dessein d’y ramener ceux qui s’en seroient malheureusement écartés.

L’esprit ne peut acquiescer qu’à ce qui lui paroît vrai ; le cœur ne peut aimer que ce qui lui semble bon. La violence fera de l’homme un hypocrite, s’il est foible ; un martyr, s’il est courageux. Foible ou courageux, il sentira l’injustice de la persécution & s’en indignera.

L’instruction, la persuasion & la priere, voilà les seuls moyens légitimes d’étendre la religion.

Tout moyen qui excite la haine, l’indignation & le mépris, est impie.

Tout moyen qui réveille les passions & qui tient à des vûes intéressées, est impie.

Tout moyen qui relache les liens naturels & éloigne les peres des enfans, les freres des freres, les sœurs des sœurs, est impie.

Tout moyen qui tendroit à soulever les hommes, à armer les nations & tremper la terre de sang, est impie.

Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience, regle universelle des actions. Il faut l’éclairer & non la contraindre.

Les hommes qui se trompent de bonne foi sont à plaindre, jamais à punir.

Il ne faut tourmenter ni les hommes de bonne foi, ni les hommes de mauvaise foi, mais en abandonner le jugement à Dieu.

Si l’on rompt le lien avec celui qu’on appelle impie, on rompra le lien avec celui qu’on appellera avare, impudique, ambitieux, colere, vicieux. On conseillera cette rupture aux autres, & trois ou quatre intolérans suffiront pour déchirer toute la société.

Si l’on peut arracher un cheveu à celui qui pense autrement que nous, on pourra disposer de sa tête, parce qu’il n’y a point de limites à l’injustice. Ce sera ou l’intérêt, ou le fanatisme, ou le moment, ou la circonstance qui décidera du plus ou du moins de mal qu’on se permettra.

Si un prince infidele demandoit aux missionnaires d’une religion intolérante comment elle en use avec ceux qui n’y croient point, il faudroit ou qu’ils avouassent une chose odieuse, ou qu’ils mentissent, ou qu’ils gardassent un honteux silence.

Qu’est-ce que le Christ a recommandé à ses disciples en les envoyant chez les nations ? est-ce de tuer ou de mourir ? est-ce de persécuter ou de souffrir ?

Saint Paul écrivoit aux Thessaloniciens : si quelqu’un vient vous annoncer un autre Christ, vous proposer un autre esprit, vous prêcher un autre évangile, vous le souffrirez. Intolérans, est-ce ainsi que vous en usez même avec celui qui n’annonce rien, ne propose rien, ne prêche rien ?

Il écrivoit encore : Ne traitez point en ennemi celui qui n’a pas les mêmes sentimens que vous, mais avertissez-le en frere. Intolérans, est-ce là ce que vous faites ?

Si vos opinions vous autorisent à me haïr, pourquoi mes opinions ne m’autoriseront-elles pas à vous haïr aussi ?

Si vous criez, c’est moi qui ai la vérité de mon côté, je crierai aussi haut que vous, c’est moi qui ai la vérité de mon côté ; mais j’ajouterai : & qu’importe qui se trompe ou de vous ou de moi, pourvu que la paix soit entre nous ? Si je suis aveugle, faut-il que vous frappiez un aveugle au visage ?

Si un intolérant s’expliquoit nettement sur ce qu’il est, quel est le coin de la terre qui ne lui fût fermé ?