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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/879

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toujours autour des Philosophes, rechercherent son intimité ; mais il préféra l’étude, la retraite & le repos à tous les avantages de leur commerce. C’est de lui dont il est question dans la vieille & ridicule fable de cet astronome qui regarde aux astres, & qui n’apperçoit pas une fosse qui est à ses piés. Bien ou mal imaginée, il falloit en étendre la moralité en l’appliquant aux grandes vûes de l’homme & à la courte durée de sa vie ; il projette dans l’avenir, & il a un tombeau ouvert à côté de lui. Thalès atteignit l’âge de quatre-vingt-dix ans. S’étant imprudemment engagé dans la foule que les jeux olympiques attiroient, il y périt de chaleur & de soif. On raconte de lui que, pour montrer à ses concitoyens combien il étoit facile au philosophe de s’enrichir, il acheta tout le produit des oliviers de Milet & de Chio, sur la connoissance que l’Astronomie lui avoit donnée d’une récolte abondante. Il ne fut pas seulement philosophe, il fut aussi poëte. Les uns lui attribuent un Traité de la nature des choses, un autre de l’Astronomie nautique & des points tropiques & équinoxiaux. Mais ceux qui assurent que Thalès n’a rien laissé, paroissent avoir raison. Il ne faut pas confondre le philosophe de Milet avec le législateur & le poëte de la Crete. Il eut pour disciple Anaximandre.

Il y a plusieurs circonstances qui rendent l’histoire de la secte Ionienne difficile à suivre. Peu d’écrits & de disciples ; le mystere, la crainte du ridicule, le mépris du peuple, l’effroi de la superstition, la double doctrine, la vanité qui laisse les autres dans l’ignorance, le goût général pour la Morale, l’éloignement des esprits de l’étude des Sciences naturelles, l’autorité de Socrate qui les avoit abandonnées, l’inexactitude de Platon qui ramenant tout à ses idées, corrompoit tout ; la briéveté & l’infidélité d’Aristote qui mutile, altere & tronque ce qu’il touche ; les révolutions des tems qui défigurent les opinions, & ne les laissent jamais passer intactes aux bons esprits qui auroient pu les exposer nettement, s’ils avoient paru plutôt ; la fureur de dépouiller les contemporains, qui recule autant qu’elle peut l’origine des découvertes ; que sçais-je encore ? & après cela quel fonds pouvons-nous faire sur ce que nous allons exposer de la doctrine de Thalès ?

De la naissance des choses. L’eau est le principe de tout : tout en vient & tout s’y résout.

Il n’y a qu’un monde ; il est l’ouvrage d’un Dieu : donc il est très-parfait.

Dieu est l’ame du monde.

Le monde est dans le lieu, la chose la plus vaste qui soit.

Il n’y a point de vuide.

Tout est en vicissitude, & l’état des choses est momentané.

La matiere se divise sans cesse ; mais cette division a sa limite.

La nuit exista la premiere.

Le mélange naît de la composition des élémens.

Les étoiles sont d’une nature terrestre, mais enflammée.

La lune est éclairée par se soleil.

C’est l’interposition de la lune qui nous éclipse le soleil.

Il n’y a qu’une terre ; elle est au centre du monde.

Ce sont des vents éthésiens qui soufflant contre le cours du Nil, le retardent, & causent ses inondations.

Des choses spirituelles. Il y a un premier Dieu, le plus ancien ; il n’a point eu de commencement, il n’aura point de fin.

Ce Dieu est incompréhensible. Rien ne lui est caché ; il voit au fond de nos cœurs.

Il y a des démons ou génies & des héros.

Les héros sont nos ames séparées de nos corps. Ils sont bons, si les ames ont été bonnes ; méchans, si elles ont été mauvaises.

L’ame humaine se meut toujours & d’elle-même.

Les choses inanimées ne sont pas sans sentiment ni sans ame.

L’ame est immortelle.

C’est la nécessité qui gouverne tout.

La nécessité est la puissance immuable & la volonté constante de la Providence.

Géométrie de Thalès. Elle se réduit à quelques propositions élémentaires sur les lignes, les angles & les triangles ; son astronomie à quelques observations sur le lever & le coucher des étoiles, & autres phénomenes.

Mais il faut observer à l’honneur de ce philosophe, que la Philosophie naturelle étoit alors au berceau, & qu’elle a fait ses premiers pas avec lui.

Quant aux axiomes de sa morale, voici ce que Démétrius de Phalere nous en a transmis. Il faut se rappeller son ami, quand il est absent. C’est l’ame & non le corps qu’il faut soigner. Avoir pour ses peres les égards qu’on exige de ses enfans. L’intempérance en tout est nuisible. L’ignorant est insupportable. Apprendre aux autres ce qu’on sçait de mieux. Il y a un milieu à tout. Ne pas accorder sa confiance sans choix.

Interrogé sur l’art de bien vivre, il répondit : ne faites point ce que vous blâmeriez en un autre. Vous serez heureux, si vous êtes sain, riche & bien né. Il est difficile de se connoitre, mais cela est essentiel. Sans cela, comment conformer sa conduite aux lois de la nature ?

Anaximandre marcha sur les traces de Thalès. Il naquit à Milet dans la quarante-deuxieme olympiade. Il passa toute sa vie dans l’école. Le tems de sa mort est incertain. On prétend qu’il n’a vécu que 74 ans.

Il passe pour avoir porté les Mathématiques fort au-delà du point où Thalès les avoit laissées. Il mesura le diametre de la terre & le tour de la mer. Il inventa le gnomon. Il fixa les points des équinoxes & des solstices. Il construisit une sphere. Il eut aussi sa physiologie.

Selon lui, le principe des choses étoit infini, un non en nombre, mais en grandeur ; immuable dans le tout, variable dans les parties ; tout en émanoit, tout s’y resolvoit.

Le ciel est un composé de froid & de chaud.

Il y a une infinité de mondes qui naissent, périssent, & rentrent dans l’infini.

Les étoiles sont des receptacles de feu qu’elles aspirent & expirent : elles sont rondes ; elles sont entraînées dans leur mouvement par celui des spheres.

Les astres sont des dieux.

Le soleil est au lieu le plus haut, la lune plus bas ; après la lune, les étoiles fixes & les étoiles errantes.

L’orbe du soleil est vingt-huit fois plus grand que celui de la terre ; il répand le feu dans l’univers, comme la poussiere seroit dispersée de dessus une roue creuse & trouée, emportée sur elle-même avec vîtesse.

L’orbe de la lune est à celui de la terre comme 1 à 19.

Il attribue les éclipses à l’obstruction des orifices des trous par lesquels la lumiere s’échappe.

Le vent est un mouvement de l’air ; les éclairs & le tonnerre, des effets de sa compression dans une nue, & de la rupture de la nue.

La terre est au centre ; elle est ronde ; rien ne la soutient ; elle y reste par sa distance égale de tous les corps.

Cosmogonie d’Anaximandre. L’infini a produit des orbes & des mondes : la révolution perpétuelle est la cause de la génération & de la destruction ; la