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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/122

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dans cette description, poudre alkermès, ou aurifique minéral, à la façon de Glauber ; mais il étoit déja connu depuis quelques années sous le nom de poudre des chartreux. L’origine de cette derniere dénomination étoit venue de ce que le sieur de la Ligerie avoit fait part au frere Simon, apoticaire des chartreux, des grandes vertus & de la composition de son remede. Celui-ci ayant eu occasion d’en faire l’épreuve avec un succès étonnant, sur un religieux de ses confreres, qui étoit attaqué d’une fluxion de poitrine des plus violentes, & dont les médecins regardoient l’état comme desespéré ; il ne tarda pas à s’annoncer comme le possesseur du nouveau remede, & à en ouvrir boutique, de sorte que le public ayant pris confiance à cette poudre rouge, lui imposa le nom des religieux par qui elle étoit parvenue à sa connoissance, & desquels il étoit obligé de l’acheter pour son usage ; c’est pourquoi elle fut appellée poudre des chartreux.

Ce remede est un très-bon fondant de la lymphe & de toutes les humeurs épaisses ; c’est pourquoi on en fait beaucoup d’usage dans le traitement de plusieurs maladies, tant aiguës que chroniques, soit pour lever les obstructions, soit pour procurer differentes évacuations ; on le recommande sur-tout dans les maladies de poitrine, causées par un engorgement d’humeurs lymphatiques dans les bronches du poumon, pour procurer l’expectoration ; il est aussi très propre à fondre la bile, & à en favoriser l’évacuation par les selles ; on l’employe même quelquefois avec succès pour exciter les sueurs, lorsque la nature semble vouloir diriger ses mouvemens vers cette route.

La dose du kermès est depuis un demi-grain jusqu’à un grain pour une prise, que l’on répete plusieurs fois dans la journée, suivant les circonstances ; mais lorsqu’on le donne pour faire vomir ou pour purger, la dose en est depuis un grain jusqu’à trois ou quatre. Additions au cours de Chimie de Lemery, par M. Baron.

La théorie chimique de l’opération du kermès minéral, est bien simple. L’alcali-fixe se combine avec le soufre de l’antimoine crud, sous la forme d’un foie de soufre par la voie humide, lequel attaque ensuite la partie réguline de l’antimoine, & en tient une portion en vraie dissolution ; ou bien, ce qui est encore plus vraissemblable, l’alcali fixe s’unit au soufre déja combiné avec le régule d’antimoine, ensorte que le soufre passe dans cette nouvelle combinaison, chargé d’une partie de régule qu’il y entraîne avec soi. La liqueur filtrée, après les ébullitions, est donc une vraie dissolution, ou lessive de foie de soufre antimonial ; & la poudre qui s’en précipite d’elle-même, & qui est le kermès, est une partie de ce composé, qui sert de composé d’une maniere indéfinie jusqu’à présent. Cette précipitation spontanée n’a rien de particulier ; elle est parfaitement analogue à celle d’une quantité plus ou moins considérable de terre que les alcali fixes dissous laissent échapper, à celle d’une portion de la dose de plusieurs sels métalliques ; par exemple, du vitriol martial, & enfin à celle qu’éprouvent la plûpart des foies de soufres métalliques. Il ne faut donc pas croire, avec M. Baron (qui a d’ailleurs très-bien traité ce sujet dans ses additions à la Chimie de Lemery, d’où nous avons tiré le commencement de cet article), que le kermés soit le foie de soufre antimonial entier, qui se soit précipité par le refroidissement de la liqueur, parce qu’il n’est pas vraiment soluble dans l’eau, & qu’il n’y a été suspendu qu’à la faveur du mouvement violent de l’ébullition ; car premierement il est bien vrai que le kermés est insoluble par les liqueurs aqueuses, & même par la plûpart des menstrues connus ; mais le foie de soufre antimonié est vraiment soluble dans l’eau, & même à froid ; la

dissolution de cette substance dans l’eau froide est démontrée par la préparation du soufre doré, qu’on sépare par le moyen d’un précipitant d’une dissolution à froid, permanente, constante, d’un vrai foie de soufre antimonié. Secondement, le foie de soufre antimonié, formé dans l’opération du kermès, passe à-travers le filtre de papier, & y passe avec une liqueur dont il n’altere pas la transparence, ce qui annonce suffisamment une dissolution réelle. (Voyez Filtre & Menstrue). Troisiemement enfin, la liqueur, du sein de laquelle le kermès s’est échappé par une précipitation spontanée, contient encore un foie de soufre antimonial, & non pas du kermès ; & elle n’est pas non plus devenue pure ou presque pure, comme elle devroit l’être, si elle s’étoit débarrassée, en se refroidissant, d’une matiere insoluble qu’elle eût simplement tenu suspendue à la faveur du mouvement d’ébullition. Donc ce n’est pas le foie de soufre antimonial entier, qui, s’étant séparé, en tout ou en partie, de la liqueur dans laquelle il étoit auparavant soutenu, constitue le kermès ; mais une partie, un des matériaux seulement, ou même un débri d’un composé réellement dissous dans cette liqueur.

Le kermès minéral peut se préparer par une autre voie, sçavoir par la voie seche ou par la fonte. Cette maniere, qui est de M. Geoffroy, consiste à faire fondre ensemble dans un creuset une partie d’alkali fixe, & deux parties d’antimoine crud ; à mettre en poudre la masse résultante de ce mélange, encore chaude, à la jetter dans l’eau bouillante, & à l’y laisser environ deux heures ; à filtrer ensuite cette eau au papier, à la recevoir au sortir du filtre dans un grand vaisseau rempli d’eau bouillante, à décanter lorsque la précipitation est faite, à édulcorer, sécher, &c. Mais les bons auteurs de Chimie médicinale conviennent unanimement que le kermès préparé par cette voie, a le défaut grave d’être trop chargé de parties régulines, & d’avoir ses parties trop lourdes, trop grossieres, trop peu divisées. M. Geoffroy avoue lui-même qu’il n’a pas le velouté ou la douceur du toucher de celui qui est préparé par la voie humide ; ce qui est manquer d’une qualité essentielle, ou être inférieur dans un point essentiel ; car la qualité qu’on doit se proposer éminemment dans la préparation des remedes insolubles destinés a passer dans les secondes voies, c’est de leur procurer la plus grande ténuité possible, moyennant laquelle il est même encore douteux si on les met en état de passer par les voies du chyle.

M. Lemery le pere a parlé dans son traité de l’antimoine, d’un précipité spontané de foie antimonial qu’il a donné pour une espece de soufre doré, & que M. Lemery le fils a prétendu avec raison être un vrai kermès minéral, dans un des mem. de l’Acad. R. des Sciences pour l’année 1720. Mais, quoique celui-ci soit préparé par la voie humide, on peut lui reprocher peut-être avec raison, d’être inférieur au kermès de la Ligerie par les mêmes défauts que nous venons d’attribuer au kermès fait par la fonte : car M. Lemery ayant employé une liqueur alkaline beaucoup plus concentrée que celle que demande la Ligerie, & son précipité s’étant formé dans une bien moindre masse de liqueur ; il est très-vraissemblable que ce précipité contiendra plus de parties régulines, & qu’il sera moins divise, moins subtil.

Quelques artistes scrupuleusement attachés à la recette publiée par ordre du roi, ont constamment observé d’employer à la préparation du kermès la liqueur de nitre fixe, à l’exclusion de tout autre alkali ; mais ce préjugé doit être regardé comme un reste de l’ancienne ignorance. La saine Chimie avoit déjà démontré long-tems avant la publication du procédé du kermès, que l’alkali du nitre & celui du