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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/31

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reprochent qu’ils soutenoient qu’il n’y avoit ni résurrection, ni esprit, ni ange. Le P. Simon donne une raison de ce sentiment. Il assure que, de l’aveu des Thalmudistes, le nom d’anges n’avoit été en usage chez les Juifs que depuis le retour de la captivité ; & les Saducéens conclurent de-là que l’invention des anges étoit nouvelle ; que tout ce que l’Ecriture disoit d’eux avoit été ajouté par ceux de la grande synagogue, & qu’on devoit regarder ce qu’ils en rapportoient comme autant d’allégories. Mais c’est disculper les Saducéens que l’Evangile condamne sur cet article : car si l’existence des anges n’étoit fondée que sur une tradition assez nouvelle, ce n’étoit pas un grand crime que de les combattre, ou de tourner en allégories ce que les Thalmudistes en disoient. D’ailleurs, tout le monde sait que le dogme des anges étoit très-ancien chez les Juifs.

Théophilacte leur reproche d’avoir combattu la divinité du S. Esprit : il doute même s’ils ont connu Dieu, parce qu’ils étoient épais, grossiers, attachés à la matiere ; & Arnobe, s’imaginant qu’on ne pouvoit nier l’existence des esprits, sans faire Dieu corporel, leur a attribué ce sentiment, & le savant Petau a donné dans le même piége. Si les Saducéens eussent admis de telles erreurs, il est vraissemblable que les Evangélistes en auroient parlé. Les Saducéens, qui nioient l’existence des esprits, parce qu’ils n’avoient d’idée claire & distincte que des objets sensibles & matériels, mettoient Dieu au-dessus de leur conception, & regardoient cet être infini comme une essence incompréhensible, parce qu’elle étoit parfaitement dégagée de la matiere. Enfin, les Saducéens combattoient l’existence des esprits, sans attaquer la personne du S. Esprit, qui leur étoit aussi inconnue qu’aux disciples de Jean-Baptiste. Mais comment les Saducéens pouvoient-ils nier l’existence des anges, eux qui admettoient le Pentateuque, où il en est assez souvent parlé ? Sans examiner ici les sentimens peu vraissemblables du P. Hardouin & de Grotius, nous nous contenterons d’imiter la modestie de Scaliger, qui s’étant fait la même question, avouoit ingenument qu’il en ignoroit la raison.

3°. Une troisieme erreur des Saducéens étoit que l’ame ne survit point au corps, mais qu’elle meurt avec lui. Josephe la leur attribue expressément.

4°. La quatrieme erreur des Saducéens rouloit sur la résurrection des corps, qu’ils combattoient comme impossible. Ils vouloient que l’homme entier pérît par la mort ; & de-là naissoit cette conséquence nécessaire & dangereuse, qu’il n’y avoit ni récompense ni peine dans l’autre vie ; ils bornoient la justice vengeresse de Dieu à la vie présente.

5°. Il semble aussi que les Saducéens nioient la Providence, & c’est pourquoi on les met au rang des Epicuriens. Josephe dit qu’ils rejettoient le destin ; qu’ils ôtoient à Dieu toute inspection sur le mal, & toute influence sur le bien, parce qu’il avoit placé le bien & le mai devant l’homme, en lui laissant une entiere liberté de faire l’un & de fuir l’autre. Grotius, qui n’a pu concevoir que les Saducéens eussent ce sentiment, a cru qu’on devoit corriger Josephe, & lire que Dieu n’a aucune part dans les actions des hommes, soit qu’ils fassent le mal, ou qu’ils ne le fassent pas. En un mot, il a dit que les Saducéens, entêtés d’une fausse idée de liberté, se donnoient un pouvoir entier de fuir le mal & de faire le bien. Il a raison dans le fond, mais il n’est pas nécessaire de changer le texte de Josephe pour attribuer ce sentiment aux Saducéens ; car le terme dont il s’est servi, rejette seulement une Providence qui influe sur les actions des hommes. Les Saducéens ôtoient à Dieu une direction agissante sur la volonté, & ne lui laissoient que le droit de récompenser

ou de punir ceux qui faisoient volontairement le bien ou le mal. On voit par là que les Saducéens étoient à peu-près Pélagiens.

Enfin, les Saducéens prétendoient que la pluralité des femmes est condamnée dans ces paroles du Lévitique : Vous ne prendrez point une femme avec sa sœur, pour l’affliger en son vivant. Chap. xviij. Les Thalmudistes, défenseurs zélés de la polygamie, se croyoient autorisés à soutenir leur sentiment par les exemples de David & de Salomon, & concluoient que les Saducéens étoient hérétiques sur le mariage.

Mœurs des Saducéens. Quelques Chrétiens se sont imaginés que comme les Saducéens nioient les peines & les récompenses de l’autre vie & l’immortalité des ames, leur doctrine les conduisoit à un affreux libertinage. Mais il ne faut par tirer des conséquences de cette nature, car elles sont souvent fausses. Il y a deux barrieres à la corruption humaine, les châtimens de la vie présente & les peines de l’enfer. Les Saducéens avoient abattu la derniere barriere, mais ils laissoient subsister l’autre. Ils ne croyoient ni peine ni récompense pour l’avenir ; mais ils admettoient une Providence qui punissoit le vice, & qui récompensoit la vertu pendant cette vie. Le desir d’être heureux sur la terre, suffisoit pour les retenir dans le devoir. Il y a bien des gens qui se mettroient peu en peine de l’éternité, s’ils pouvoient être heureux dans cette vie. C’est-là le but de leurs travaux & de leurs soins. Josephe assure que les Saducéens étoient fort séveres pour la punition des crimes, & cela devoit être ainsi : en effet, les hommes ne pouvant être retenus par la crainte des châtimens éternels que ces sectaires rejettoient, il falloit les épouvanter par la sévérité des peines temporelles. Le même Josephe les représente comme des gens farouches, dont les mœurs étoient barbares, & avec lesquels les étrangers ne pouvoient avoir de commerce. Ils étoient souvent divisés les uns contre les autres. N’est ce point trop adoucir ce trait hideux, que de l’expliquer de la liberté qu’ils se donnoient de disputer sur les matieres de religion ? car Josephe qui rapporte ces deux choses, blâme l’une & loue l’autre ; ou du moins il ne dit jamais que ce fut la différence des sentimens & la chaleur de la dispute qui causa ces divisions ordinaires dans la secte. Quoi qu’il en soit, Josephe qui étoit Pharisien, peut être soupçonné d’avoir trop écouté les sentimens de haine que sa secte avoit pour les Saducéens.

Des Caraïtes. Origine des Caraïtes. Le nom de Caraïte signifie un homme qui lit, un scriptuaire, c’est-à-dire un homme qui s’attache scrupuleusement au texte de la loi, & qui rejette toutes les traditions orales.

Si on en croit les Caraïtes qu’on trouve aujourd’hui en Pologne & dans la Lithuanie, ils descendent des dix tribus que Salmanazar avoit transportées, & qui ont passé de-là dans la Tartarie : mais on rejettera bien-tôt cette opinion, pour peu qu’on fasse attention au sort de ces dix tribus, & on sait qu’elles n’ont jamais passé dans ce pays-là.

Il est encore mal-à-propos de faire descendre les Caraïtes d’Esdras ; & il suffit de connoître les fondemens de cette secte, pour en être convaincu. En effet, ces sectaires ne se sont élevés contre les autres docteurs, qu’à cause des traditions qu’on égaloit à l’écriture, & de cette loi orale qu’on disoit que Moïse avoit donnée. Mais on n’a commencé à vanter les traditions chez les Juifs, que long-tems après Esdras, qui se contenta de leur donner la loi pour regle de leur conduite. On ne se souleve contre une erreur, qu’après sa naissance ; & on ne combat un dogme que lorsqu’il est enseigné publiquement. Les Caraïtes n’ont donc pû faire de secte particuliere