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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/334

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barbarie ; savoir, que la plus légere teinture des sciences dérogeoit à la noblesse, affectent de se familiariser avec les muses, osent l’avouer, & n’ont après tout dans leurs décisions sur les ouvrages qu’un goût emprunté, ne pensant réellement que d’après autrui. On ne voit que des gens de cet ordre parmi nos agréables & ces femmes qui lisent tout ce qui paroît. Ils ont leur héros de littérature, dont ils ne sont que l’écho ; ils ne jugent qu’en seconds, entêtés de leurs choix, & séduits par une sorte de présomption d’autant plus dangereuse qu’elle se cache sous une espece de docilité & de déférence. Ils ignorent que pour choisir de bons guides en ce genre, il ne faut guere moins de lumieres que pour se conduire par soi-même ; c’est ainsi qu’on tâche de concilier son orgueil avec les intérêts de l’ignorance & de la paresse. Nous voulons presque tous avoir la gloire de prononcer, & nous fuyons presque tous l’attention, l’examen, le travail & les moyens d’acquérir des connoissances.

Que les auteurs soient donc moins curieux de suffrages de la plus grande, que de la plus saine partie du public !

Neque te ut miretur turba, labores ;
Contentus paucis lectoribus.
(D. J.)

Lecteur, s. m. (Littérat.) lector, quelquefois à studiis, & en grec ἀναγνώστης, c’étoit chez ces deux peuples un domestique dans les grandes maisons destiné à lire pendant les repas. Il y avoit même un domestique lecteur dans les maisons bourgeoises, où l’on se piquoit de goût & d’amour pour les lettres. Servius, dans ses Commentaires sur Virgile, liv. XII. v. 159, parle d’une lectrice, lectrix.

Quelquefois le maître de la maison prenoit l’emploi de lecteur ; l’empereur Sévere, par exemple, lisoit souvent lui-même aux repas de sa famille. Les Grecs établirent des anagnostes qu’ils consacrerent à leurs théatres, pour y lire publiquement les ouvrages des poëtes. Les anagnostes des Grecs & les lecteurs des Romains avoient des maîtres exprès qui leur apprenoient à bien lire, & on les appelloit en latin prælectores.

Le tems de la lecture étoit principalement à souper dans les heures des vacations, au milieu même de la nuit, si l’on étoit réveillé & disposé à ne pas dormir davantage : c’étoit du moins la pratique de Caton, dont il ne faut pas s’étonner, car il étoit affamé de cette nourriture. Je l’ai rencontré, dit Cicéron, dans la bibliotheque de Lucullus, assis au milieu d’un tas de livres de Stoïciens, qu’il dévoroit des yeux : Erat in eo inexhausta aviditas legendi, nec satiare poterat, quippe nec reprehensionem vulgi inanem reformidans, in ipsâ curiâ soleret sæpiùs legere, dùm senatus cogeretur, ità ut helu librorum videbatur.

Atticus ne mangeoit jamais chez lui en famille, ou avec des étrangers, que son lecteur n’eût quelque chose de beau, d’agréable & d’intéressant à lire à la compagnie ; de sorte, dit Cornelius Népos, qu’on trouvoit toujours à sa table le plaisir de l’esprit réuni à celui de la bonne chere. Les historiens, les orateurs, & sur-tout les poëtes étoient les livres de choix pendant le repas, chez les Romains comme chez les Grecs.

Juvenal promet à l’ami qu’il invite à venir manger le soir chez lui, qu’il entendra lire les vers d’Homere & de Virgile durant le repas, comme on promet aujourd’hui aux convives une reprise de brelan après le souper. Si mon lecteur, dit-il, n’est pas des plus habiles dans sa profession, les vers qu’il nous lira sont si beaux, qu’ils ne laisseront pas de nous faire plaisir.

Nostra dabunt alios hodie convivia ludos,
Conditor iliados cantabitur atque Maronis

Altisoni, dubiam facientia carmina palmam : Quid refert tales versus quâ voce legantur ?

Satyr. II.

Je finis, parce que cette matiere de lecteurs, d’anagnostes & de lecture a été épuisée par nos savans ; ceux qui seront curieux de s’instruire à fond de tous les détails qui s’y rapportent, peuvent lire Fabricii Biblioth. antiq. cap. xix. Grævii Thes. antiq. rom. Pignorius de Servis. Meursii Glossarium. Alexandri ab Alexandro Genial. dier. l. II. c. xxx. Puteanus de Stylo, t. XII. p. 258. Gelli l. XVIII. c. v. Bilbergii Dissert. acad. de anagnostis, Upsal. 1689, in-8°. & finalement Th. Raynaud de Anagnostis ad mensam religiosam, in operib. edit. Lugd. 1665, in fol. (D. J.)

Lecteurs dans l’Église romaine, (Théol.) clercs revêtus d’un des quatre ordres mineurs. Voyez Ordres Mineurs.

Les lecteurs étoient anciennement & en commençant les plus jeunes des enfans qui entroient dans le clergé. Ils servoient de secrétaires aux évêques & aux prêtres, & s’instruisoient en écrivant ou en lisant sous eux. On formoit ainsi ceux qui étoient plus propres à l’étude, & qui pouvoient devenir prêtres. Il y en avoit toutefois qui demeuroient lecteurs toute leur vie. La fonction des lecteurs a toujours été nécessaire dans l’Église, puisque l’on a toujours lu les écritures de l’ancien & du nouveau Testament, soit à la Messe, soit aux autres offices, principalement de la nuit. On lisoit aussi des lettres des autres évêques, des actes des martyrs, ensuite des homélies des peres, comme on le pratique encore. Les lecteurs étoient chargés de la garde des livres sacrés, ce qui les exposoit fort pendant les persécutions. La formule de leur ordination marque qu’ils doivent lire pour celui qui prêche, & chanter les leçons, benir le pain & les fruits nouveaux. L’évêque les exhorte à lire fidélement & à pratiquer ce qu’ils lisent, & les met au rang de ceux qui administrent la parole de Dieu. La fonction de chanter les leçons, qui étoit autrefois affectée aux lecteurs, se fait aujourd’hui indifféremment par toutes sortes de clercs, même par des prêtres. Fleury, Instit. au droit ecclés. tome I. part. I. chap. vj. p. 61. & suiv.

Il paroît, par le concile de Chalcédoine, qu’il y avoit dans quelques églises un archi-lecteur, comme il y a eu un archi-acolyte, un archi-diacre, un archiprêtre, &c. Le septieme concile général permet aux abbés, qui sont prêtres & qui ont été benis par l’évêque, d’imposer les mains à quelques-uns de leur religieux pour les faire lecteurs.

Selon l’auteur du supplément de Morery, la charge de lecteur n’a été établie que dans le troisieme siecle. M. Cotelier dit que Tertullien est le premier qui passe mention des lecteurs. M. Basnage croit qu’avant que cet emploi eût lieu, l’Église chrétienne suivoit dans la lecture des divines Ecritures la méthode de la Synagogue où le jour du sabbat un sacrificateur, un lévite, & cinq d’entre le peuple, choisis par le président de l’assemblée, faisoient cette lecture ; mais Bingham, dans ses antiquités de l’Église, t. II. p. 28. & suiv. remarque qu’il ne paroît pas qu’il y ait eu aucune église, excepté celle d’Alexandrie, où l’on ait permis aux laïcs de lire l’Ecriture-sainte en public : cette permission étoit accordée même aux catéchumenes dans cette église. Son sentiment est que tantôt les diacres, tantôt les prêtres, & quelquefois les évêques s’acquittoient de cette fonction.

Dans l’église grecque, les lecteurs étoient ordonnés par l’imposition des mains ; mais, suivant Habert, cette cérémonie n’avoit pas lieu dans l’Église romaine. Le quatrieme concile de Carthage ordonne que l’évêque mettra la Bible entre les mains