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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/371

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d’autres occupations, malheureusement pour nous qui lui avons succedé, & pour qui le même travail n’a été qu’une source de persécutions, d’insultes & de chagrins qui se renouvellent de jour en jour, qui ont commencé il y a plus de quinze ans, & qui ne finiront peut-être qu’avec notre vie.

A l’âge de vingt deux ans il dédia à l’électeur de Mayence Jean-Philippe de Schomborn, une nouvelle méthode d’enseigner & d’apprendre la Jurisprudence, avec un catalogue des chose à desirer dans la science du Droit. Il donna dans la même année son projet pour la réforme générale du corps du Droit. La tête de cet homme étoit ennemie du désordre, & il falloit que les matieres les plus embarrassées s’y arrangeassent en y entrant ; il réunissoit deux grandes qualités presqu’incompatibles, l’esprit d’invention & celui de méthode, & l’étude la plus opiniâtre & la plus variée, en accumulant en lui les connoissances les plus disparates, n’avoit affoibli ni l’un ni l’autre : philosophe & mathématicien, tout ce que ces deux mots renferment, il l’étoit. Il alla d’Altorf à Nuremberg visiter des savans ; il s’insinua dans une société secrete d’alchimistes qui le prirent pour adepte sur une lettre farcie de termes obscurs qu’il leur adressa, qu’ils entendirent apparemment, mais qu’assurément Léibnitz n’entendoit pas. Ils le créerent leur secrétaire, & il s’instruisit beaucoup avec eux pendant qu’ils croyoient s’instruire avec lui.

En 1670, âgé de vingt-quatre ans, échappé du laboratoire de Nuremberg, il fit réimprimer le traité de Marius Nizolius de Bersello, de veris principiis & verâ ratione philosophandi contra pseudo-philosophos, avec une préface & des notes ou il cherche à concilier l’aristotélisme avec la Philosophie moderne : c’est là qu’il montre quelle distance il y a entre les disputes de mots & la science des choses, qu’il étale l’étude profonde qu’il avoit faite des anciens, & qu’il montre qu’une erreur surannée est quelquefois le germe d’une vérité nouvelle. Tel homme en effet s’est illustré & s’illustrera en disant blanc après un autre qui a dit noir. Il y a plus de mérite à penser à une chose qui n’avoit point encore été remuée, qu’à penser juste sur une chose dont on a déjà disputé : le dernier degré du mérite, la véritable marque du génie, c’est de trouver la vérité sur un sujet important & nouveau.

Il publia une lettre de Aristotele recentioribus reconciliabili, où il ose parler avantageusement d’Aristote dans un tems où les Cartésiens fouloient aux piés ce philosophe, qui devoit être un jour vengé par les Neutoniens. Il prétendit qu’Aristote contenoit plus de vérités que Descartes, & il démontra que la philosophie de l’un & de l’autre étoit corpusculaire & méchanique.

En 1711 il adressa à l’académie des Sciences sa théorie du mouvement abstrait, & à la société royale de Londres, sa théorie du mouvement concret. Le premier traité est un système du mouvement en général ; le second en est une application aux phenomenes de la nature ; il admettoit dans l’un & l’autre du vuide ; il regardoit la matiere comme une simple étendue indifférente au mouvement & au repos, & il en étoit venu à croire que pour découvrir l’essence de la matiere, il falloit y concevoir une force particuliere qui ne peut gueres se rendre que par ces mois, mentem momentaneam, seu carentem recordatione, quia conatum simul suum & alienum contrarium non retineat ultro momentum, adeòque careat memoriâ, sensu actionum passionumque suarum, atque cogitatione.

Le voilà tout voisin de l’entéléchie d’Aristote, de son système des monades, de la sensibilité, propriété générale de la matiere, & de beaucoup d’autres idées qui nous occupent à présent. Au lieu de mesurer le mouvement par le produit de la masse & de la vitesse,

il substituoit à l’un de ces élémens la force, ce qui donnoit pour mesure du mouvement le produit de la masse par le quarré de la vîtesse. Ce fut-là le principe sur lequel il établit une nouvelle dynamique ; il fut attaqué, il se défendit avec vigueur ; & la question n’a été, sinon decidée, du-moins bien éclaircie depuis, que par des hommes qui ont réuni la Méthaphysique la plus subtile à la plus haute Géométrie. Voyez l’article Force.

Il avoit encore sur la Physique générale une idée particuliere, c’est que Dieu a fait avec la plus grande économie possible, ce qu’il y avoit de plus parfait & de meilleur : il est le fondateur de l’optimisme, ou de ce système qui semble faite de Dieu un automate dans ses decrets & dans ses actions, & ramener sous un autre nom & sous une forme spirituelle le fatum des anciens, ou cette nécessité aux choses d’être ce qu’elles sont.

Il est inutile de dire que Leibnitz étoit un mathématicien du premier ordre. Il a disputé à Neuton l’invention du calcul différentiel. Voyez les articles de ce Diction. Calcul différentiel & Fluxion. M. de Fontenelle, qui paroît toujours favorable à M. Leibnitz, prononce que Neuton est certainement inventeur, & que sa gloire est en sûreté, mais qu’on ne peut être trop circonspect lorsqu’il s’agit d’intenter une accusation de vol & de plagiat contre un homme tel que Leibnitz : & M. de Fontenelle à raison.

Leibnitz étoit entierement neuf dans la haute Géométrie, en 1676, lorsqu’il connut à Paris M. Huygens, qui étoit, après Galilée & Descartes, celui à qui cette science devoit le plus. Il lut le traité de horologio oscillatorio ; il médita les ouvrages de Pascal & de Grégoire de S. Vincent, & il imagina une méthode dont il retrouva dans la suite des traces profondes dans Grégori, Barion & d’autres. C’est ce calcul par lequel il se glorifie d’avoir soumis à l’analyse des choses qui ne l’avoient jamais été.

Quoi qu’il en soit de cette histoire que Leibnitz a faite de ses découvertes à la sollicitation de Mrs Bernoulli, il est sûr que l’on apperçoit des infiniment petits de différens ordres dans son traité du mouvement abstrait, publié en 1671 ; que le calcul différentiel parut en 1684 ; que les principes mathématiques de Neuton ne furent publiés qu’en 1607, & que celui-ci ne revendiqua point cette découverte. Mais Neuton, depuis que ses amis eurent élevé la querelle, n’en demeura pas moins tranquille, comme Dieu au milieu de sa gloire.

Leibnitz avoit entrepris un grand ouvrage de la science de l’infini ; mais il n’a pas été fini.

De ses hautes spéculations il descendit souvent à des choses d’usage. Il proposa des machines pour l’épuisement des eaux, qui font abandonner quelquefois & interrompent toujours les travaux des mines.

Il employa une partie de son tems & de sa fortune à la construction d’une machine arithmétique, qui ne fut entierement achevée que dans les dernieres années de sa vie.

Nous avons montré jusqu’ici Leibnitz comme poëte, jurisconsulte & mathématicien, nous l’allons considérer comme métaphysicien, ou comme homme remontant des cas particuliers à des lois générales. Tout le monde connoît son principe de la raison suffisante & de l’harmonie préétablie, son idée de la monade. Mais nous n’insisterons point ici là-dessus ; nous renvoyons aux différens articles de ce Dictionnaire, & à l’exposition abregée de la philosophie de Leibnitz, qui terminera celui-ci.

Il s’éleva en 1715 une dispute entre lui & le fameux M. Clake sur l’espace, le tems, le vuide, les atomes, le naturel, le surnaturel, la liberté & autres sujets non moins importans qu’épineux.