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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/373

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peu publié séparément ; la plus grande partie est dispersée dans les journaux & les recueils d’académies ; d’où l’on a tiré sa protogée, ouvrage qui n’est pas sans mérite, soit qu’on le considere par le fond des choses, soit qu’on n’ait égard qu’à l’élevation du discours.

I. Principes des méditations rationnelles de Leibnitz. Il disoit : la connoissance est ou claire ou obscure, & la connoissance claire est ou confuse ou distincte, & la connoissance distincte est ou adéquate ou inadéquate, ou intuitive ou symbolique.

Si la connoissance est en même tems adéquate & intuitive, elle est très-parfaite ; si une notion ne suffit pas à la connoissance de la chose représentée, elle est obscure ; si elle suffit, elle est claire.

Si je ne puis énoncer séparément les caracteres nécessaires de distinction d’une chose à une autre, ma connoissance est confuse, quoique dans la nature la chose ait de ces caracteres, dans l’énumération exacte desquels elle se limiteroit & se résoudroit.

Ainsi les odeurs, les couleurs, les saveurs & d’autres idées relatives aux sens, nous sont assez clairement connues : la distinction que nous en faisons est juste ; mais la sensation est notre unique garant. Les caracteres qui distinguent ces choses ne sont pas énonciables. Cependant elles ont des causes : les idées en sont composées ; & il semble que s’il ne manquoit rien, soit à notre intelligence, soit à nos recherches, soit à nos idiomes, il y auroit une certaine collection de mots dans lesquels elles pourroient se résoudre & se rendre.

Si une chose a été suffisamment examinée ; si la collection des signes qui la distingue de toute autre est complexe, la notion que nous en aurons sera distincte : c’est ainsi que nous connoissons certains objets communs à plusieurs sens, plusieurs affections de l’ame, tout ce dont nous pouvons former une définition verbale ; car qu’est-ce que cette définition, sinon une énumération suffisante des caracteres de la chose ?

Il y a cependant connoissance distincte d’une chose indéfinissable, toutes les fois que cette chose est primitive, qu’elle est elle-même son propre caractere, ou que s’entendant par elle-même, elle n’a rien d’antérieur ou de plus connu en quoi elle soit résoluble.

Dans les notions composées, s’il arrive, ou que la somme des caracteres ne se saisisse pas à la fois, ou qu’il y en ait quelques-uns qui échappent ou qui manquent, ou que la perception nette, générale ou particuliere des caracteres, soit momentanée & fugitive, la connoissance est distincte, mais inadéquate.

Si tous les caracteres de la chose sont permanens, bien rendus & bien saisis ensemble & séparément, c’est-à-dire que la résolution & l’analyse s’en fassent sans embarras & sans défaut, la connoissance est adéquate.

Nous ne pouvons pas toujours embrasser dans notre entendement la nature entiere d’une chose très-composée : alors nous nous servons de signes qui abregent ; mais nous avons, ou la conscience ou la mémoire que la résolution ou l’analyse entiere est possible, & s’exécutera quand nous le voudrons ; alors la connoissance est aveugle ou symbolique.

Nous ne pouvons pas saisir à la fois toutes les notions particulieres qui forment la connoissance complette d’une chose très-composée. C’est un fait. Lorsque la chose se peut, notre connoissance est intuitive autant qu’elle peut l’être. La connoissance d’une chose primitive & distincte est intuitive ; celle de la plûpart des choses composées est symbolique.

Les idées des choses que nous connoissons distinctement, ne nous sont présentes que par une opération intuitive de notre entendement.

Nous croyons à tort avoir des idées des choses,

lorsqu’il y a quelques termes dont l’explication n’a point été faite, mais supposée.

Souvent nous n’avons qu’une notion telle quelle des mots, une mémoire foible d’en avoir connu autrefois la valeur, & nous nous en tenons à cette connoissance aveugle, sans nous embarrasser de suivre l’analyse des expressions aussi loin & aussi rigoureusement que nous le pourrions. C’est ainsi que nous échappe la contradiction enveloppée dans la notion d’une chose composée.

Qu’est-ce qu’une définition nominale ? Qu’est-ce qu’une définition réelle ? Une définition nominale, c’est l’énumération des caracteres qui distingue une chose d’une autre. Une définition réelle, celle qui nous assure, par la comparaison & l’explication des caracteres, que la chose définie est possible. La définition réelle n’est donc pas arbitraire ; car tous les caracteres de la définition nominale ne sont pas toujours compatibles.

La science parfaite exige plus que des définitions nominales, à-moins qu’on ne sache d’ailleurs que la chose définie est possible.

La notion est vraie, si la chose est possible ; fausse, s’il y a contradiction entre ses caracteres.

La possibilité de la chose est connue à priori ou à posteriori.

Elle est connue à priori lorsque nous résolvons sa notion en d’autres d’une possibilité avouée, & dont les caracteres n’impliquent aucune contradiction : il en est ainsi toutes les fois que la maniere dont une chose peut être produite nous est connue ; d’où il s’ensuit qu’entre toutes les définitions, les plus utiles ce sont celles qui se font par les causes.

La possibilité est connue à posteriori lorsque l’existance actuelle de la chose nous est constatée ; car ce qui est ou a été est possible.

Si l’on a une connoissance adéquate, l’on a aussi la connoissance à priori de la possibilité ; car en suivant l’analyse jusqu’à sa fin, si l’on ne rencontre aucune contradiction, il naît la démonstration de la possibilité.

Il est un principe dont il faut craindre l’abus ; c’est que l’on peut dire une chose, & qu’on dira vrai, si l’on affirme ce que l’on en apperçoit clairement & distinctement. Combien de choses obscures & confuses paroissent claires & distinctes à ceux qui se pressent de juger ! L’axiome dont il s’agit est donc superflu, si l’on n’a établi les regles de la vérité des idées, & les marques de la clarté & de la distinction, de l’obscurité & de la confusion.

Les regles que la Logique commune prescrit sur les caracteres des énonciations de la vérité, ne sont méprisables que pour ceux qui les ignorent, & qui n’ont ni le courage ni la sagacité nécessaires pour les apprendre : ne sont-ce pas les mêmes que celles des Géometres ? Les uns & les autres ne prescrivent-ils pas de n’admettre pour certain que ce qui est appuyé sur l’expérience ou la démonstration. Une démonstration est solide si elle garde les formes prescrites par la Logique. Il ne s’agit pas toujours de s’assujettir à la forme du syllogisme, mais il faut que tout raisonnement soit réductible à cette forme, & qu’elle donne évidemment force à la conclusion.

Il ne faut donc rien passer des prémisses ; tout ce qu’elles renferment doit avoir été ou démontré, ou supposé : dans le cas de supposition, la conclusion est hypothétique.

On ne peut ni trop louer, ni s’assujettir trop sévérement à la regle de Pascal, qui veut qu’un terme soit défini pour peu qu’il soit obscur, & qu’une proposition soit prouvée pour peu qu’elle soit douteuse. Avec un peu d’attention sur les principes qui précedent, on verra comment ces deux conditions peuvent se remplir.