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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/395

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roit pas grand risque à la confondre avec les autres maladies cutanées ; la vérole peut aussi, dans certains cas, en imposer pour la lepre. J’ai vu une jeune femme dont toutes les parties du corps étoient couvertes de pustules écailleuses assez larges, semblables à celles qui paroissent dans la lepre ; pendant l’usage des frictions mercurielles que je lui sis administrer, tous les autres symptomes vénériens se dissiperent, ces pustules s’applanirent par la chute de grosses écailles, & la peau revint ensuite, moyennant quelques bains, dans son état naturel. Je suis très-persuadé que dans pareil cas une erreur dans le diagnostic ne peut avoir aucune suite funeste.

Malgré l’appareil effrayant que présente la lepre, on a observé qu’elle étoit rarement mortelle, & qu’elle n’étoit accompagnée d’aucun danger pressant. On a vu des lépreux vivre pendant plusieurs années, sans autre incommodité ou plutôt n’ayant que le désagrément d’avoir la peau ainsi défigurée. Lorsque la lepre ne fait que commencer, qu’elle est encore dans le premier degré que nous avons appellé avec les Latins impetigo, ou peut se flatter de la guérir ; les remedes que les anciens employoient réussissoient ordinairement. Dans le second degré, ou la lepre des Grecs, on ne guérissoit que rarement & à la longue, & la guérison étoit le plus souvent très-imparfaite ; pour la lepre des Arabes ou l’éléphantiase, les remedes qu’un succès heureux & constant faisoit regarder comme plus appropriés à cette maladie dans les commencemens, ne produisoient dans ces derniers tems aucun effet, pas même le moindre changement en bien, toutes les tentatives étoient infructueuses ; c’est pourquoi Celse conseille dans ce cas de ne point fatiguer le malade par des remedes dont l’inutilité est si constatée.

Dans la curation de la lepre, les anciens avoient principalement égard à l’humeur mélancolique qu’ils regardoient comme la cause de cette maladie ; cette idée n’est point tout-à-fait sans fondement, elle est sur-tout très-utilement appliquable au traitement des autres maladies cutanées ; en conséquence ils se servoient beaucoup des melanagogues, des hépatiques fondans, de l’aloës, de l’ellébore, de la coloquinte, de l’extrait de fumeterre, &c. ils joignoient à ces remedes plus particuliers l’usage d’une quantité d’autres remedes généraux dont en a encore augmenté le catalogue dans les derniers tems ; les purgatifs, la saignée, le petit-lait à haute dose, les eaux acidules, les sucs d’herbes, les décoctions sudorifiques, les martiaux & le mercure sont ceux qu’on employoit le plus fréquemment ; sans doute on en avoit observé de meilleurs effets ; parmi les sudorifiques, on a beaucoup vanté les viperes : Aretée, Galien, Aétius, Avicenne, Rhazès, assurent que dans la lépre même confirmée, c’est un remede très-efficace ; ils ne promettent de son usage lien moins qu’un renouvellement total de la constitution du corps ; la connoissance de leurs vertus est dûe, suivant Galien, au hazard ; cet auteur raconte que quelques personnes touchées de compassion envers un misérable lépreux, & se croyant dans l’impossibilité de le guérir, résolurent de mettre fin à ses souffrances en l’empoisonnant ; pour cet effet, ils lui donnerent de l’eau dans laquelle on avoit laissé long-tems une vipère ; l’effet ne répondit point à leur attente, & le remede loin de précipiter la mort opéra une parfaite guérison, fides sit penes auctorem. Il s’en faut bien que la chair de viperes mangée, ou mise en décoction, produise des effets aussi sensibles. Voyez Vipere. La maniere dont Solenander les employoit ne paroît pas, toute singuliere qu’elle est, leur donner plus d’efficacité ; cet Auteur prenoit deux ou trois viperes, ou à leur défaut, des serpens, qu’il coupoit tous vivans par morceaux, & les mêloit ensuite avec de

l’orge ; il faisoit bouillir le tout jusqu’à ce que l’orge s’ouvrît, alors il s’en servoit pour nourrir des jeunes poulets ; ne leur donnant aucune autre nourriture ; après quelques jours les plumes tomboient aux poulets, & dès qu’elles étoient revenues, il les tuoit & en faisoit manger la chair & prendre le bouillon aux malades ; il assure que par cette méthode, il a très souvent guéri des lépreux. Les sels volatils qu’on retire de la vipere, ou de la corne de cerf, paroissent mériter à plus juste titre tous ces éloges ; leur action est incontestable, très-forte, & vraisemblablement avantageuse, dans le cas dont il s’agit. Quelqu’indiqués que paroissent les mercuriaux dans cette maladie, les expériences que Willis en a fait ne sont point en leur faveur ; il les a employés dans deux cas où ils n’ont operé qu’un effet passager, ils n’ont fait qu’adoucir & pallier pour un tems les symptômes qui ont recommencé après de nouveau & même avec plus de force. Toutes les applications extérieures doivent, à mon avis, être bannies de la pratique dans cette maladie ; si elles ne sont qu’adoucissantes, elles ne peuvent faire aucun bien, elles sont exactement inutiles ; pour peu qu’elles soient actives elles exigent beaucoup de circonspection dans leur usage, qui peut dans bien des cas être dangereux & qui n’est jamais exactement curatif. Les bains simples, ou composés avec des eaux minerales sulphureuses, telles que celles de Barreges, de Bannieres, &c. sont les remedes les plus appropriés, soit pour operer la guérison, soit pour la rendre parfaite, en donnant à la peau sa couleur & sa souplesse naturelle ; ces mêmes eaux prises intérieurement ne peuvent aussi qu’être très-avantageuses. Il ne faut cependant pas dissimuler que l’effet de tous ces remedes n’est pas constant, encore moins universel ; nous avons déja remarqué que la lepre confirmée résistoit opiniâtrement à toutes sortes de remedes, ce qui depend probablement moins d’une incurabilité absolue, que du défaut d’un véritable spécifique. (m)

LÉPROSERIE, s. f. (Hist.) MALADRERIE ; mais ce terme ne se soutient plus que dans le style du palais, dans les actes & dans les titres, pour signifier une maladrerie en général. En effet, il ne s’appliquoit autrefois qu’aux seuls hôpitaux, destinés pour les lépreux. Matthieu Paris comptoit dix-neuf mille de ces hôpitaux dans la chrétienté, & cela pouvoit bien être, puisque Louis VIII. dans son testament fait en 1225, légue cent sols, qui reviennent à environ 84 livres d’aujourd’hui, à chacune des deux mille léproseries de son royaume.

La maladie pour laquelle on fit bâtir ce nombre prodigieux d’hôpitaux, a toujours eu, comme la peste, son siege principal en Egypte, d’où elle passa chez les Juifs, qui tirerent des Egyptiens les mêmes pratiques pour s’en préserver ; mais nous n’avons pas eu l’avantage d’en être instruits.

Il paroit que Moïse ne prescrit point de remedes naturels pour guérir la lepre, il renvoie les malades entre les mains des prêtres ; & d’ailleurs il caracterise assez bien la maladie, mais non pas avec l’exactitude d’Arétée parmi les Grecs, liv. IV. chap. xiij. & de Celse parmi les Romains, liv. III. chap. xxv.

Prosper Alpin remarque que dans son tems, c’est-à-dire, sur la fin du seizieme siecle, la lepre étoit encore commune en Egypte. Nos voyageurs modernes, & en particulier Manndrel, disent qu’en Orient & dans la Palestine, ce mal attaque principalement les jambes, qui deviennent enflées, écailleuses & ulcéreuses.

Le D. Townes a observé qu’une pareille lépre regne parmi les esclaves en Nigritie ; l’enflure de leurs jambes, & les écailles qui les couvrent vont toujours en augmentant ; & quoique cette écorce écail-