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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/408

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qui en étoit le signe, afin d’éviter les circonlocutions toujours superflues & très-sujettes à l’équivoque dans la matiere dont il est question. Ainsi, au lieu d’écrire & de dire, par exemple, l’articulation foible produite par la réunion des deux levres, on a dit & écrit le b, & ainsi des autres. Au reste, cette confusion d’idées n’a pas de grands inconvéniens, si même on peut dire qu’elle en ait. Tout le monde entend très-bien que le mot lettres, dans la bouche d’un maître d’écriture, s’entend des signes représentatifs des élémens de la voix ; que dans celle d’un fondeur ou d’un imprimeur il signifie les petites pieces de métal qui portent les empreintes de ces signes pour les transmettre sur le papier au moyen d’une encre ; & que dans celle d’un grammairien il indique tantôt les signes & tantôt les élémens mêmes de la voix, selon que les circonstances designent qu’il s’agit ou d’orthologie ou d’ortographe. Je ne m’écarterai donc pas du langage ordinaire dans ce qui me reste à dire sur l’attraction & la permutation des lettres : on verra assez que je ne veux parler que des élémens de la voix prononcée, dont les lettres écrites suivent assez communément le sort, parce qu’elles sont les dépositaires de la parole. Hic enim usus est litterarum, ut custodiant voces, & velut depositum reddant legentibus. Quintil. inst. orat. I. jv.

Nous avons vu qu’il y a entre les lettres d’une même classe une sorte d’affinité & d’analogie qui laissent souvent entr’elles assez peu de différence : c’est cette affinité qui est le premier fondement & la seule cause raisonnable de ce que l’on appelle l’attraction & la permutation des lettres.

L’attraction est une opération par laquelle l’usage introduit dans un mot une lettre qui n’y étoit point originairement, mais que l’homogénéité d’une autre lettre préexistante semble seule y avoir attirée. C’est ainsi que les verbes latins ambio, ambigo, composés de l’ancienne particule am, équivalente à circùm, & des verbes eo & ago, ont reçu la consonne labiale b, attirée par la consonne m, également labiale : c’est la même chose dans comburo, composé de cùm & d’uro. Notre verbe françois trembler, dérivé de tremere, & nombre, dérivé de numerus, présentent le même méchanisme.

La permutation est une opération par laquelle dans la formation d’un mot tiré d’un autre mot pris dans la même langue ou dans une langue étrangere, on remplace une lettre par une autre. Ainsi du mot grec ποῦς, les Latins ont fait pes, en changeant ου en e, & les Allemands ont fait fuss, en changeant πen f, car leur u répond à l’ου des Grecs quant à la prononciation.

Je l’ai déja dit, & la saine philosophie le dit aussi, rien ne se fait sans cause ; & il est très-important dans les recherches étymologiques de bien connoître les fondemens & les causes de ces deux sortes de changemens de lettres, sans quoi il est difficile de débrouiller la génération & les différentes métamorphoses des mots. Or le grand principe qui autorise ou l’attraction ou la permutation des lettres, c’est, comme je l’ai déja insinué, leur homogénéité.

Ainsi, 1°. toutes les voyelles sont commuables entr’elles pour cette raison d’affinité, qui est si grande à l’égard des voyelles, que M. le président des Brosses regarde toutes les voyelles comme une seule, variée seulement selon les différences de l’état du tuyau par où sort la voix, & qui, à cause de sa flexibilité, peut être conduit par dégradation insensible depuis son plus large diametre & sa plus grande longueur, jusqu’à son état le plus resserré & le plus raccourci. C’est ainsi que nous voyons l’a de capio changé en e dans particeps, en i dans participare, & en u dans aucupium ; que l’a du grec πάλλω est changé en e dans le latin pello, cet e changé en u dans le supin pulsum,

que nous conservons dans impulsion, & que nous changeons en ou dans pousser ; que l’i du grec ἴλη est changé en a dans le latin ala, & en ê, que nous écrivons ai, dans le françois aile, &c. Il seroit superflu d’accumuler ici un plus grand nombre d’exemples : on n’a qu’à ouvrir les Dictionnaires étymologiques de Vossius pour le latin, de Ménage pour le françois ; de Wachter pour l’allemand, &c. & lire sur-tout le traité de Vossius de litterarum permutatione : on en trouvera de toutes les especes.

2°. Par la même raison les consonnes labiales sont commuables entre elles, voyez Labiales, & l’une peut aisément attirer l’autre, comme on l’a vu dans la définition que j’ai donnée de l’attraction.

3°. Il en est de même de toutes les consonnes linguales, mais dans un degré de facilité proportionné à celui de l’affinité qui est entr’elles ; les dentales se changent ou s’allient plus aisément avec les dentales, les sifflantes avec les sifflantes, &c. & par la même raison dans chacune de ces classes, & dans toute autre où la remarque peut avoir lieu, la foible & la forte ont le plus de disposition à se mettre l’une pour l’autre, ou l’une avec l’autre. Voyez les exemples à l’article Linguale.

4°. Il arrive encore assez souvent que des consonnes, sans aucuns degrés prochains d’affinité, ne laissent pas de se mettre les unes pour les autres dans les dérivations des mots, sur le seul fondement d’affinité qui résulte de leur nature commune : dans ce cas néanmoins la permutation est déterminée par une cause prochaine, quoiqu’accidentelle ; communément c’est que dans la langue qui emprunte, l’organe joint à la prononciation de la lettre changée l’inflexion d’une autre partie organique, & c’est la partie organique de la lettre substituée. Comment avons-nous substitué c à la lettre t, une sifflante à une dentale, dans notre mot place venu de platea ? c’est que nous sommes accoutumés à prononcer le t en sifflant comme s dans plusieurs mots, comme action, ambitieux, patient, martial, &c. que d’autre part nous prononçons de même la lettre c devant e, i, ou devant les autres voyelles quand elle est cédillée : or l’axiome dit quæ sunt eadem uni tertio sunt eadem inter se ; donc le c & le t peuvent se prendre l’un pour l’autre dans le système usuel de notre langue : l’une & l’autre avec s peuvent aussi être commuables. D’autres vûes autorisées par l’usage contre les principes naturels de la prononciation, donneront ailleurs d’autres permutations éloignées des lois générales.

Pour ce qui concerne l’histoire des lettres & la génération des alphabets qui ont eu cours ou qui sont aujourd’hui en usage, on peut consulter le ch. xx. du liv. I. de la seconde partie de la Géographie sacrée de Bochart ; le livre du P. Herman Hugo, jésuite, de ratione scribendi apud veteres ; Vossius de arte Grammaticâ, ch. ix. & x. Baudelot de Daireval, de l’utilité des voyages & de l’avantage que la recherche des antiquités procure aux Savans ; les œuvres de dom Bernard de Montfaucon ; l’art de vérifier les dates des faits historiques, par des religieux Bénédictins de la congrégation de S. Maur ; le livre IV. de l’introduction à l’histoire des Juifs de Prideaux, par M. Shuckford ; nos Pl. d’Alph. anc. & mod. plus riches qu’aucun de ces ouvrages. (B. E. R. M.)

Lettres, (Imprimerie.) Les Imprimeurs nomment ainsi, & sans acception de corps ou de grandeur, chaque piece mobile & séparée dont sont assortis les différens caracteres en usage dans l’Imprimerie, mais ils en distinguent de quatre sortes dans chaque corps de caracteres, qui sont les capitales, petites capitales, ou majuscules & minuscules, les lettres du bas de casse & lettres doubles, tels que le si, le fi, le double ssi & le double ffi, & quelqu’au-