Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vérités. Il explique la rosée du cerveau du vieillard ou du grand visage. Il examine ensuite son crâne, ses cheveux, car il porte sur sa tête mille millions de milliers, & sept mille cinq cens boucles de cheveux blancs comme la laine. A chaque boucle il y a quatre cent dix cheveux, selon le nombre du mot Kadosch. Des cheveux on passe au front, aux yeux, au nez, & toutes ces parties du grand visage renferment des choses admirables ; mais sur-tout sa barbe est une barbe qui mérite des éloges infinis : « cette barbe est au-dessus de toute louange ; jamais ni prophete ni saint n’approcha d’elle ; elle est blanche comme la neige ; elle descend jusqu’au nombril ; c’est l’ornement des ornemens, & la vérité des vérités ; malheur à celui qui la touche : il y a treize parties dans cette barbe, qui renferment toutes de grands mysteres ; mais il n’y a que les initiés qui les comprennent ».

Enfin le petit synode est le dernier adieu que Siméon fit à ses disciples. Il fut chagrin de voir sa maison remplie de monde, parce que le miracle d’un feu surnaturel qui en écartoit la foule des disciples pendant la tenue du grand synode, avoit cessé ; mais quelques-uns s’étant retirés, il ordonna à R. Abba d’écrire ses dernieres paroles : il expliqua encore une fois le vieillard : « sa tête est cachée dans un lieu supérieur, où on ne la voit pas ; mais elle répand son front qui est beau, agréable ; c’est le bon plaisir des plaisirs ». On parle avec la même obscurité de toutes les parties du petit visage, sans oublier celle qui adoucit la femme.

Si on demande à quoi tendent tous les mysteres, il faut avouer qu’il est très-difficile de les découvrir, parce que toutes les expressions allégoriques étant susceptibles de plusieurs sens, & faisant naître des idées très différentes, on ne peut se fixer qu’après beaucoup de peine & de travail ; & qui veut prendre cette peine, s’il n’espere en tirer de grands usages ?

Remarquons plûtôt que cette méthode de peindre les opérations de la divinité sous des figures humaines, étoit fort en usage chez les Egyptiens ; car ils peignoient un homme avec un visage de feu, & des cornes, une crosse à la main droite, sept cercles à la gauche, & des aîles attachées à ses épaules. Ils représentoient par là Jupiter ou le Soleil, & les effets qu’il produit dans le monde. Le feu du visage signifioit la chaleur qui vivifie toutes choses ; les cornes, les rayons de lumiere. Sa barbe étoit mystérieuse, aussi bien que celle du long visage des cabalistes ; car elle indiquoit les élémens. Sa crosse étoit le symbole du pouvoir qu’il avoit sur tous les corps sublunaires. Ses cuisses étoient la terre chargée d’arbres & de moissons ; les eaux sortoient de son nombril ; ses genoux indiquoient les montagnes, & les parties raboteuses de la terre ; les aîles, les vents & la promptitude avec laquelle ils marchent : enfin les cercles étoient le symbole des planetes.

Siméon finit sa vie en débitant toutes ces visions. Lorsqu’il parloit à ses disciples, une lumiere éclatante se répandit dans toute la maison, tellement qu’on n’osoit jetter les yeux sur lui. Un feu étoit au-dehors, qui empêchoit les voisins d’entrer ; mais le feu & la lumiere ayant disparu, on s’apperçut que la lampe d’Israël étoit éteinte. Les disciples de Zippori vinrent en foule pour honorer ses funérailles, & lui rendre les derniers devoirs ; mais on les renvoya, parce que Eleazar son fils & R. Abba qui avoit été le secrétaire du petit synode, vouloient agir seuls. En l’enterrant on entendit une voix qui crioit : Venez aux nôces de Siméon ; il entrera en paix & reposera dans sa chambre. Une flamme marchoit devant le cercueil, & sembloit l’embraser ; & lorsqu’on le mit dans le tombeau, on entendit crier :

C’est ici celui qui a fait trembler la terre, & qui a ébranlé les royaumes. C’est ainsi que les Juifs font de l’auteur du Zohar un homme miraculeux jusqu’après sa mort, parce qu’ils le regardent comme le premier de tous les cabalistes.

Des grands hommes qui ont fleuri chez les Juifs dans le douzieme siecle. Le douzieme siecle fut très-fécond en docteurs habiles. On ne se souciera peut-être pas d’en voir le catalogue, parce que ceux qui passent pour des oracles dans les synagogues, paroissent souvent de très-petits génies à ceux qui lisent leurs ouvrages sans préjugé. Les Chrétiens demandent trop aux rabbins, & les rabbins donnent trop peu aux Chrétiens. Ceux-ci ne lisent presque jamais les livres composés par un juif, sans un préjugé avantageux pour lui. Ils s’imaginent qu’ils doivent y trouver une connoissance exacte des anciennes cérémonies, des évenemens obscurs ; en un mot qu’on doit y lire la solution de toutes les difficultés de l’Ecriture. Pourquoi cela ? Parce qu’un homme est juif, s’ensuit-il qu’il connoisse mieux l’histoire de sa nation que les Chrétiens, puisqu’il n’a point d’autres secours que la bible & l’histoire de Josephe, que le juif ne lit presque jamais ? S’imagine t-on qu’il y a dans cette nation certains livres que nous ne connoissons pas, & que ces Messieurs ont lûs ? c’est vouloir se tromper, car ils ne citent aucun monument qui soit plus ancien que le christianisme. Vouloir que la tradition se soit conservée plus fidelement chez eux, c’est se repaître d’une chimere ; car comment cette tradition auroit elle pu passer de lieu en lieu, & de bouche en bouche pendant un si grand nombre de siecles & de dispersions fréquentes ? Il suffit de lire un rabbin pour connoître l’attachement violent qu’il a pour sa nation, & comment il déguise les faits, afin de les accommoder à ses préjugés. D’un autre côté les Rabbins nous donnent beaucoup moins qu’ils ne peuvent. Ils ont deux grands avantages sur nous ; car possédant la langue sainte dès leur naissance, ils pourroient fournir des lumieres pour l’explication des termes obscurs de l’Ecriture ; & comme ils sont obligés de pratiquer certaines cérémonies de la loi, ils pourroient par-là nous donner l’intelligence des anciennes. Ils le font quelquefois ; mais souvent au lieu de chercher le sens littéral des Ecritures, ils courent après des sens mystiques qui font perdre de vûe le but de l’écrivain, & l’intention du saint-Esprit. D’ailleurs ils descendent dans un détail excessif des cérémonies sous lesquelles ils ont enseveli l’esprit de la loi.

Si on veut faire un choix de ces docteurs, ceux du douzieme siecle doivent être préférés à tous les autres : car non-seulement ils étoient habiles, mais ils ont fourni de grands secours pour l’intelligence de l’ancien Testament. Nous ne parlerons ici que d’Aben-Ezra, & de Maïmonides, comme les plus fameux.

Aben-Ezra est appellé le sage par excellence ; il naquit l’an 1099, & il mourut en 1174, âgé de 75 ans. Il l’insinue lui-même, lorsque prévoyant sa mort, il disoit que comme Abraham sortit de Charan âgé de 75 ans, il sortiroit aussi dans le même tems de Charon ou du feu de la colere du siecle. Il voyagea, parce qu’il crut que cela étoit nécessaire pour faire de grands progrès dans les sciences. Il mourut à Rhodes, & fit porter de-là ses os dans la Terre-sainte.

Ce fut un des plus grands hommes de sa nation & de son siecle. Comme il étoit bon astronome, il fit de si heureuses découvertes dans cette science, que les plus habiles mathématiciens ne se sont pas fait un scrupule de les adopter. Il excella dans la medecine, mais ce fut principalement par ses expli-