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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/597

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s’est écarté de cette simplicité dans les élections, à mesure qu’on s’éloignoit de la premiere source des graces & de l’inspiration divine.

Les apôtres & leurs successeurs immédiats avoient beaucoup de foi & de piété dans les actes de leur culte, & dans la célébration de leurs mysteres ; mais il y avoit peu de prieres & peu de cérémonies extérieures ; leur liturgie en langue vulgaire, simple, peu étendue, étoit gravée dans la mémoire de tous les néophites. Mais lorsque les objets de la foi se développerent davantage, qu’on voulut attaquer des interprétations nécessaires par les ressources de l’éloquence, du faste & de la pompe, chacun y mit du sien ; on ne sut bientôt plus à quoi s’en tenir dans plusieurs églises ; on se vit obligé de régler & de rédiger par écrit les prieres publiques, la maniere de célébrer les mysteres, & sur-tout l’Eucharistie. Alors les liturgies furent très-volumineuses, la plûpart marquées au coin des erreurs ou des opinions régnantes dans l’Eglise, ou chez les divers docteurs qui les avoient compilées ; ainsi les liturgies chrétiennes qui devoient être très-uniformes, furent extrèmement différentes pour le tour, les expressions, & sur-tout les divers rites & pratiques religieuses, différence sensible en particulier sur le point essentiel, à savoir la célébration de l’Eucharistie.

L’extrème grossiereté des Grecs, ou plutôt le manque de politique de leurs patriarches, qui n’ont pas su, comme nos papes, conserver en Orient le droit de chef visible de l’Eglise, & s’affranchir de bonne heure de l’autorité des empereurs, qui prétendoient régler & le culte & les cérémonies religieuses ; cette grossiereté, ce manque de politique, dis-je, leur ont laissé ignorer le dogme important de la transubstantiation, & toutes les pratiques religieuses qui en sont la suite, leur liturgie est restée, à cet égard, dans l’état de cette primitive simplicité, méprisable aujourd’hui à ceux qu’éclaire une foi plus étendue, & fortifiée par d’incompréhensibles mysteres. Ils ne croyoient point la présence réelle, & communioient bonnement sous les deux especes. Quelques Grecs modernes ont profité des lumieres de l’Eglise latine ; mais esclaves de leurs anciens usages, ils ont voulu associer leurs idées aux nôtres, & leur liturgie offre sur l’article important de l’Eucharistie une bigarrure peu édifiante.

D’anciens Grecs, qui sont aujourd’hui les Rasciens & les Valaques, communioient avec un petit enfant de pâte, dont chacun des communians prenoit un membre, ou une petite partie ; cet usage bisarre s’est conservé jusqu’à nos jours dans quelques églises de Transylvanie sur les confins de la Pologne ; il y a des églises en Rascie, où l’on célebre l’Eucharistie avec un gâteau sur lequel est peint ou représenté l’Agneau paschal ; en général, dans toute l’église grecque, l’Eucharistie se fait, more majorum, à la suite d’une agappe ou repas sacré. La haute église d’Angleterre, appellée l’église anglicane, a conservé dans l’Eucharistie bien des usages de l’église latine ; le saint Sacrement posé sur un autel, le communiant vient le recevoir à genoux. En Hollande, les communians s’asseyent autour d’une table dressée dans l’ancien chœur de leurs temples, le ministre placé au milieu bénit & rompt le pain, il remplit & bénit aussi la coupe, il fait passer le plat où sont les morceaux de pain rompu à droite, la coupe à gauche ; & dès que les assistans ont participé à l’un & à l’autre des symboles, il leur fait une petite exhortation, & les bénit ; une seconde table se forme, & ainsi de suite.

En Suisse, & dans la plûpart des églises protestantes d’Allemagne, on va en procession auprès de la table, on reçoit debout la communion ; le pasteur,

en distribuant le pain & le vin, dit à chacun des communians un passage de l’Ecriture sainte ; la cérémonie finie, le pasteur remonte en chaire, fait une priere d’action de graces ; après le chant du cantique de Siméon, il bénit l’assemblée & la congédie.

Les collégians de Rinsburg ne communient qu’une fois l’année ; ils font précéder le Sacrement d’un pain, ou d’une oblation générale, qu’ils appellent le baptême & la mort de Christ : ils font un repas entrecoupé de prieres courtes & fréquentes, & le terminent par l’Eucharistie ou fraction du pain, avec toute la simplicité des premiers tems de l’Eglise.

Les Quaquers, les Piétistes, les Anabaptistes, les Méthodistes, les Moraves ont tous des pratiques & des usages différens dans la célébration de l’Eucharistie ; les derniers en particulier ne croient leur communion efficace, qu’autant qu’ils entrent par la foi dans le trou mystique du Sauveur, & qu’ils vont s’abreuver à cette eau miraculeuse, à ce sang divin qui sortit de son côté percé d’une lance, qui est pour eux cette source d’une eau vive, jaillissante en vie éternelle, qui prévient pour jamais la soif, & dont Jesus-Christ parloit à l’obligeante Samaritaine. Les liturgies de ces diverses sectes reglent ces pratiques extérieures, & établissent aussi les sentimens de l’Eglise sur un sacrement, dont l’essence est un des points fondamentaux de la foi chrétienne.

Depuis le xij. siecle, l’Eglise catholique ne communie que sous une espece avec du pain azyme : dans ce pain seul & dans chaque partie de ce pain on trouve le corps & le sang de Jesus-Christ ; & quoique les bons & les méchans le reçoivent également, il n’y a que les justes qui reçoivent le fruit & les graces qui y sont attachées.

Luther & ses sectateurs soutiennent que la substance du pain & du vin restent avec le corps & le sang de Jesus-Christ. Zwingle & ceux qui suivent sa doctrine, pensent que l’Eucharistie n’est que la figure du corps & du sang du Sauveur, à laquelle on donnoit le nom des choses dont le pain & le vin sont la figure. Calvin cherchant à spiritualiser encore plus les choses, dit que l’Eucharistie renferme seulement la vertu du corps & du sang de Jesus-Christ. Pour dire le vrai, il y a peu de système & de philosophie dans ces diverses opinions ; c’est qu’on a voulu chercher beaucoup de mysteres dans des pratiques religieuses très-simples dans leur origine, & dont l’esprit facile à saisir étoit cependant moins proposé à notre intelligence qu’à notre foi.

Quoique ces diverses opinions soient assez obscurement énoncées dans les liturgies, leurs auteurs ont cependant cherché comme à l’envi à accréditer leurs ouvrages, en les mettant sous les noms respectables des évangelistes, des apôtres, ou des premiers peres de l’Eglise.

1°. Ainsi la liturgie de saint Jacques, l’une des plus anciennes, ne sauroit être de cet apôtre, puisque les termes consacrés dans le culte, l’ordre des prieres & les cérémonies qu’elle regle, ne conviennent absolument point aux tems apostoliques, & n’ont été introduites dans l’Eglise que très-long-tems après. 2°. La liturgie de S. Pierre, compilation de celle des Grecs & de celle des Latins, porte avec elle des preuves qu’elle ne sut jamais composée par cet apôtre. 3°. La messe des Ethiopiens, appellée la liturgie de saint Matthieu, est visiblement supposée, puisque l’auteur y parle des évangélistes, il veut qu’on les invoque ; & l’attribuer à saint Matthieu, c’est lui prêter un manque de modestie peu assorti à son caractere. D’ailleurs les prieres pour les papes, pour les rois, pour les patriarches, pour les archevêques, ce qui y est dit des conciles de Nicée, Constantinople, Ephese, &c. sont autant de preuves qu’elle n’a de saint Matthieu que le nom. On peut dire la même