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Page:Documents obtenus des archives du Département de la marine et des colonies à Paris, par l'entremise de M. Faribault, lors de son voyage en Europe en 1851, c1851.djvu/6

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VI

10 novembre 1707,


Mr. Raudot, père.


Monseigneur,


L’esprit d’affaires qui a toujours, comme vous savez, beaucoup plus de subtilité et de chicane, qu’il n’a de vérité et de droiture, a commencé à s’introduire ici depuis quelque temps et augmente tous les jours par ses deux mauvais endroits. Si l’on pouvait les retrancher, cet esprit pourrait être bon pour l’avenir ; quoique la simplicité dans laquelle on y vivait autrefois fût encore meilleure. Mais pour régler le passé, il n’y a rien à mon sens de plus pernicieux que cet esprit et de plus contraire au repos et à la tranquillité qu’il faut donner aux peuples d’une colonie, laquelle ne se soutient et ne s’augmente que par le travail de ses habitants, auxquels il ne faut pas donner les occasions de s’en détourner, Comme il n’y a presque rien dans le commerce qu’ils ont entr’eux qui se soit fait dans les règles, les notaires, les huissiers, les juges mêmes ayant quasi tous été ignorants, particulièrement ceux qui ont formé cette colonie, ayant la plupart travaillé sur leurs terres, sans une sureté valable de ceux qui les concédaient, il n’y a point de propriété sur laquelle on ne puisse former un trouble, point de partage sur lequel on ne puisse revenir, point de veuve qu’on ne puisse attaquer pour la rendre commune, point de tuteurs auxquels on ne puisse faire un procès pour les comptes qu’ils ont rendus à leurs mineurs. Ce n’est pas que tout ne se soit fait souvent dans la bonne foi, mais l’ignorance et le peu de règles qu’on a observées dans toutes ces affaires a produit tous ces désordres, lesquels en causeraient encore de plus grands si l’on souffrait ceux qui pourraient se prévaloir de cet esprit, ou de leur chef ou par le conseil des autres intentassent des procès sur ce sujet. Il y aurait plus de procès dans ce pays qu’il n’y a de personnes. Et comme les juges sont obligés de juger suivant les règles, dont ils commencent à avoir quelque teinture, en les appliquant à des affaires où l’ignorance a fait qu’on n’en à point observé, ils seraient obligés de faire mille injustices, ce que j’aurais cru faire moi-même, Monseigneur, si je m’y étais entièrement assujéti dans plusieurs procès qui sont venus pardevant moi.

Par toutes ces raisons, Monseigneur, je crois que vous ne pourriez pas faire un plus grand bien aux habitants de ce pays que d’obtenir pour eux de S. M. une déclaration qui assurât la propriété des terres dans toutes les consistances et suivant les lignes qui ont été tirées à ceux qui en sont en possession depuis cinq ans où par le travail qu’ils ont fait dessus où en vertu d’un titre, tel qu’il soit, qui validât aussi tous les partages qui ont été faits jusqu’à présent, qui fit défense d’intenter aucun procès au sujet des comptes de tutelle et des renonciations que les femmes ont dû faire à la communauté de leurs maris, et qui fit défense aux juges de recevoir les parties à plaider sur ces matières. Enfin, Monseigneur, une déclaration qui validât tous les décrets qui sont intervenus et tous les autres actes et contrats qui ont été passés jusqu’à présent et les droits que les particuliers ont acquis les uns contre les autres, excepté dans les matières odieuses, comme les actes et contrats où il y aurait de l’usure, du dol, de la fraude, et les possessions où il y aurait de la violence ou de l’autorité.