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Page:Dollier de Casson - Histoire du Montréal, 1640-1672, 1871.djvu/39

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Iroquois avec une seule demi-pique en la main par contenance, ce que Lemoine voyant il lui cria :

« Ne vous avancez pas ainsi vers ces traîtres, » lui trop crédule à ces barbares qu’il aimait tendrement, quoique depuis ils l’aient fait cruellement mourir, ne laissa pas d’aller vers eux, mais lorsqu’il y fut, ils l’enveloppèrent si insensiblement et si bien que quand il s’en aperçut il ne lui fut plus possible de se retirer. Lemoine apercevant la perfidie, coucha en joue les trois Iroquois qui étaient auprès de lui et leur dit qu’il tuerait le premier qui branlerait à moins que Normentville ne revint, un des trois demanda à l’aller chercher ce qu’il lui fut permis, mais cet homme ne revenant pas, il contraignit les deux autres à marcher devant lui au château, d’où ils ne sortirent point que jusqu’au lendemain que Normentville fut rendu. L’autre trahison se pensa faire sur le Sault Normant, qui est une bature, laquelle est peu avant sur le fleuve vis-à-vis du château ; deux Iroquois s’étant mis sur cette bature, M. de Maison-Neufve commanda à un nommé Nicholas Godé de s’y en aller en canot, afin de savoir ce qu’ils voulaient dire, d’autant qu’ils feignaient de vouloir parler, nos deux Français approchant, un de ces misérables intimidé par sa mauvaise conscience, se jetta dans son canot, s’enfuit, et laissa son camarade dégradé sur la roche où nos amateurs le prirent ; le captif étant interrogé pourquoi son compagnon avait fui, il dit que c’était une terreur panique qui l’avait saisi sans qu’il eût aucun mauvais dessein et qu’il eût aucun sujet de s’en aller de la sorte, ainsi ce traître voila adroitement sa mauvaise intention ; cela n’empêcha pas qu’on l’emmena au château. Peu après qu’il y fut, le fuyard reparut de fort loin, voguant et haranguant sur le fleuve ; d’abord on commanda aux deux mêmes canoteurs de se tenir prêts afin de les joindre à la rame, s’il approchait de trop près, ce qui réussit fort bien, car étant insensiblement mis dans le courant, au milieu de ces belles harangues, nos Français se jettèrent soudain dans leurs canots, le poursuivirent si vivement qu’il fut impossible d’en sortir et d’aller à terre avant d’être attrapé, si bien qu’il vint faire compagnie à son camarade qu’il avait fort incivilement abandonné. Voyez la ruse de ces gens et comme néanmoins on les attrapait. Ce fut cette année que pour narguer davantage les Iroquois on commença le premier moulin du Montréal, afin de leur apprendre que nous n’étions pas dans la disposition de leur abandonner ce champ glorieux, et que ce boulevard public ne se regardait pas prêt à s’écouler. Au reste, cette année, Dieu nous assista grandement, car si les Iroquois nous blessaient bien du monde en diverses reprises, ils ne nous tuèrent jamais qu’un seul homme ; encore est-ce plutôt une victime que Dieu voulait