Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/242

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est excédé par ce monsieur au cœur aimant. Enfin on lui fait délicatement sentir que le temps est splendide et qu’il faut en profiter pour une promenade solitaire. Si cet homme aime une femme, il l’offensera mille fois par son caractère avant que son cœur aimant le remarque, avant de remarquer (si toutefois il en est capable) que cette femme s’étiole de son amour, qu’elle est dégoûtée d’être avec lui, qu’il empoisonne toute son existence. Oui, c’est seulement dans l’isolement, dans un coin, et surtout dans un groupe que se forme cette belle oeuvre de la nature, ce « spécimen de notre matière brute », comme disent les Américains, en qui il n’y a pas une goutte d’art, en qui tout est naturel. Un homme pareil oublie – il ne soupçonne même pas –, dans son inconscience totale, que la vie est un art, que vivre c’est faire oeuvre d’art par soi-même ; que ce n’est que dans le lien des intérêts, dans la sympathie pour toute la société et ses exigences directes, et non dans l’indifférence destructrice de la société, non dans l’isolement, que son capital, son trésor, son bon cœur, peut se transformer en un vrai diamant taillé.

Seigneur Dieu ! Où sont allés les anciens traîtres des vieux mélos et des romans ! L’existence était agréable quand ils vivaient dans le monde. C’est pourquoi il est agréable qu’ici, tout de suite, à côté, se trouve également l’homme le plus vertueux qui défendra l’innocence et punira le mal. Ce traître, ce « tiranno ingrato », c’était un malfaiteur engendré par un jeu mystérieux et tout à fait incompréhensible du sort. Tout en lui était la personnification du mal. Il était déjà malfaiteur dans le sein de sa mère. C’est peu. Ses aïeux, pressentant probablement sa venue au monde, avaient choisi intentionnellement