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Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/19

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retenant à peine un rire sot, il cria : « Va »… et monta à l’arrière… Dans un bruit d’enfer, cliquètements et grelots, la voiture roula sur la Perspective Newsky.

Sitôt que la voiture bleue eut franchi la porte cochère, M. Goliadkine se frotta nerveusement les mains et se mit à rire doucement, comme un homme de joyeux caractère qui a réussi à jouer un bon tour et s’en égaye. Mais après cet accès de gaîté, le visage de M. Goliadkine prit une expression étrange et inquiète.

Malgré l’humidité et le brouillard, il baissa les vitres de la voiture et regarda soucieusement les passants, à droite et à gauche. Il prenait un air convenable et assuré, dès qu’il se croyait observé.

Au coin de la rue Liteinaia et de la Perspective Newsky, il éprouva un tremblement désagréable ; il fit la grimace d’un malheureux auquel on vient d’écraser un cor. Très vite et même craintivement, il s’enfonça dans le coin le plus sombre de la voiture. C’est qu’il vient de rencontrer deux camarades, deux jeunes fonctionnaires de l’administration. Les deux fonctionnaires aussi — et M. Goliadkine le vit bien — furent très étonnés de rencontrer leur collègue en cet équipage. L’un d’eux montra même du doigt M. Goliadkine. Il crut même que l’autre l’appelait à haute voix par son nom. Cela était très inconvenant, dans la rue…