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Page:Dostoïevski - Le Double, 1919.djvu/60

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M. Goliadkine avait lu cette phrase autrefois, dans un livre. Il se la rappelle fort à propos. Elle convient à sa situation, et il passe tant de choses par la tête d’un homme qui attend, pendant près de trois heures dans un vestibule obscur et froid, le dénouement favorable ! M. Goliadkine s’est souvenu fort à propos de la phrase de l’ancien ministre français.

Il se souvient aussi, on ne sait pourquoi, de l’ancien vizir turc Marsimiris et de la belle comtesse Louise dont il a lu l’histoire autrefois. Il se rappelle que les Jésuites ont pour règle de considérer tous les moyens comme bons, pourvu que le but soit atteint. Il s’encourage à cet exemple historique. En lui-même M. Goliadkine pense : « Qu’est-ce que les jésuites ? Les jésuites du premier au dernier étaient tous de grands sots. » Il les surpassera tous. Si seulement le buffet était pour un instant vide (la porte en donnait sur le vestibule où attendait M. Goliadkine). Si le buffet était vide, malgré tous les Jésuites M. Goliadkine irait tout droit du buffet dans la salle à manger, de là dans le salon où on jouait aux cartes et enfin dans le salon où on dansait la polka. Il passera, il passera tout droit sans regarder personne, il se glissera. C’est bien simple. Personne ne le remarquera. Une fois là-bas il sait bien ce qu’il devra faire. Telle est, messieurs, la situation où se trouve le héros de notre véridique histoire.