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le joueur

moins, celui-ci ne s’était pas encore prononcé ; Mlle Blanche faisait les derniers efforts pour obtenir qu’il prît une décision. Mais, hélas ! elle s’était cruellement trompée. Le soir même, elle apprit que le petit prince était « nu comme un ver », et qu’il comptait sur elle, comme elle-même avait compté sur lui, pour pouvoir jouer à la roulette. Blanche le chassa de chez elle et s’enferma dans son appartement.

Dans la matinée de ce jour mémorable, je cherchai vainement M. Astley. Il ne déjeuna même pas à l’hôtel. Vers cinq heures, je l’aperçus inopinément à la station du chemin de fer, se dirigeant vers l’hôtel d’Angleterre. Il marchait vite, semblait soucieux. Il me tendit la main cordialement, avec son « ha ! » ordinaire, et sans s’arrêter. Mais je n’obtins de lui aucun renseignement. Il m’eût été d’ailleurs très pénible de parler avec lui de Paulina, et, de son côté, il ne fit aucune allusion à elle. Je lui racontai l’histoire de la babouschka. Il haussa les épaules.

— Elle achèvera de se ruiner, remarquai-je.

— Évidemment, répondit-il. Si j’ai le temps, j’irai la voir jouer… C’est très curieux…

— Où étiez-vous donc, toute la journée ?

— À Francfort.

— Pour affaires ?

— Oui.

Qu’avais-je encore à lui demander ? Pourtant je ne le quittai pas ; mais, arrivé à la porte de l’hôtel des Quatre-Saisons, il me salua et disparut.

En revenant chez moi, je me persuadai qu’une conversation de deux heures avec l’Anglais ne m’en aurait pas appris davantage, car je n’avais, en somme, rien à lui demander, assurément.

Paulina passa la journée à se promener avec la bonne et les enfants dans le parc. Elle évitait le général. D’ailleurs, j’avais déjà remarqué cela, rien ne pouvait la troubler ; tous les tracas parmi lesquels elle vivait n’avaient