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le joueur

me restait à vivre. Oh ! si j’avais pu enfoncer lentement dans sa poitrine mon couteau bien aiguisé ! Il me semble que je l’aurais fait avec plaisir. Et pourtant, je puis jurer aussi que si, là-haut, sur le Schlagenberg, la montagne à la mode, elle m’avait dit : « Jetez-vous en bas ! », je l’aurais fait avec bonheur. D’une ou d’autre façon, il faut que cela finisse. Elle se rend très bien compte de tout ce qui se passe en moi. Elle sait que j’ai conscience de l’absolue impossibilité de réaliser le rêve dont elle est le terme, et je suis sûr que cette pensée lui procure une joie extrême. Et c’est pourquoi elle est avec moi si franche, si familière. C’est un peu l’impératrice antique qui se déshabillait devant un esclave. Un outchitel n’est pas un homme…

Pourtant, j’avais mission de gagner à la roulette. Dans quel but ? Il était évident que durant les quinze jours de mon absence, une foule d’événements étaient survenus dont je n’avais pas connaissance. Il fallait tout deviner, et je n’avais pas seulement le temps de réfléchir. Je devais aller à la roulette.


II


Cela m’était très désagréable. J’étais décidé à jouer, mais non pas pour le compte des autres. Même cela dérangeait mes plans. J’eus, en entrant dans le salon de jeu, une sensation de dépit, et, du premier regard, tout me déplut. Je ne puis supporter cet esprit de laquais qui dicte tous les feuilletons dans le monde entier, surtout chez nous, et qui, chaque printemps, impose au feuilletoniste ces deux thèmes : « La magnificence des salons de jeu dans les villes à roulette des bords du Rhin, et les tas d’or amoncelés sur les tables… » Les feuille-