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le joueur

— Des bêtises ! Quand on craint le loup on ne va pas au bois[1]. C’est perdu ? Mets encore.

Le deuxième florin fut perdu comme le premier. J’en mis un troisième. La babouschka ne tenait pas en place. Elle semblait vouloir fasciner la petite boule qui sautait sur les rayons de la roue. Le troisième florin fut encore perdu. La babouschka était hors de soi. Elle donna un coup de poing sur la table quand le croupier appela trente-six au lieu du zéro attendu.

— Canaille ! s’écria-t-elle. Ce maudit petit zéro ne veut donc pas sortir ? Je veux rester jusqu’à ce qu’il sorte ! C’est ce scélérat de croupier qui l’empêche de sortir !… Alexis Ivanovitch, mets deux louis d’or à la fois, autrement nous ne gagnerions rien, même si le zéro sortait.

— Babouschka !

— Mets ! mets ! Ce n’est pas ton argent !

Je mis les deux louis. La petite boule roula longtemps et enfin se mit à sauter plus doucement sur les rayons ; la babouschka était comme hypnotisée et serrait ma main. Tout à coup, boum !

— Zéro ! cria le croupier.

— Tu vois ! Tu vois ! dit vivement la babouschka toute rayonnante. C’est Dieu lui-même qui m’a donné l’idée de mettre deux louis. Combien vais-je avoir ? Pourquoi ne me donne-t-il pas d’argent ? Potapitch ! Marfa ! Où sont-ils ? Où sont les nôtres, Potapitch !

— Babouschka, Potapitch est à la porte ; on ne l’a pas laissé entrer. Voyez, on vous paye, prenez.

On jetait à la babouschka un gros rouleau de cinquante louis enveloppés dans du papier bleu, vingt louis en monnaie. Je ramassai le tout devant la babouschka.

— Faites le jeu, messieurs, faites le jeu… Rien ne va plus ! cria le croupier au moment de mettre en branle la roulette.

  1. Dicton russe.