Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/156

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même serais-je devenu amoureux de toi : j’aurais été heureux d’obtenir, non seulement une de tes paroles mais un de tes regards ; je t’aurais attendue à la porte, je me serais mis à tes genoux ; je t’aurais considérée comme ma fiancée et je m’en serais fait un grand honneur. Je n’aurais pu avoir une pensée de toi qui fût impure. Mais ici. je sais que je n’ai qu’à siffler et, que tu le veuilles ou non, tu dois me suivre. Ce n’est pas moi qui compte avec ta volonté, c’est toi qui dois compter avec la mienne. Le dernier des paysans qui se loue comme ouvrier, ne se loue pas tout entier, et puis il sait qu’il y a un terme à sa servitude. Quand seras-tu libre, toi ? Pense donc : que donnes-tu ici ? Qu’est-ce qui est en servitude ? Ton âme, ton âme qui ne t’appartient plus, qui est en servitude avec le corps. Chaque ivrogne bafoue ton amour ! — L’amour ! — Mais c’est tout, c’est un diamant ; c’est le trésor de la jeune fille, l’amour ! Pour mériter cet amour, certain donnerait sa vie, irait à la mort. Quel est le prix de ton amour ? Tu es achetée, tout entière, et on n’a pas besoin d’obtenir l’amour, quand sans amour tout est possible. Pour une jeune fille, il n y a pas d affront plus cruel, comprends-tu ? Voilà, j ai entendu dire que pour vous amuser, vous autres, sottes, on vous permet d’avoir des amants.

« Mais ce n’est que pour vous tromper, pour se moquer de vous, et vous y croyez ! Qu’est-ce qu’il