Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/159

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Elle était assise sur l’escalier de pierre ; dans ses mains elle tenait un poisson salé ; elle criait, elle parlait de sa destinée, et elle frappait le poisson sur les marches. Autour du perron se trouvaient des cochers de fiacre, des soldats ivres qui la taquinaient. Tu ne le crois pas que tu deviendras pareille ? Moi aussi je ne voulais pas le croire. Mais qu’en sais-tu, peut-être qu’il y a huit ou dix ans, celle-là même, qui avait le poisson salé, était venue de quelque part, fraîche comme un chérubin, innocente et pure ; elle ne connaissait pas le mal, rougissait à chaque parole. Peut-être était-elle autant que toi fière et susceptible, ne ressemblant à personne, avec un port de reine et sachant quel bonheur attendait celui qui l’aimerait et qu’elle aurait aimé. Vois-tu, comment cela a fini ? Et si à l’instant où elle frappait le poisson sur les marches malpropres, si a cet instant elle s’était souvenue de ses années d’autrefois, de sa pureté, dans la maison paternelle, quand elle allait encore en classe, et que le fils du voisin la guettait sur le chemin de l’école, lui jurant de l’aimer toute sa vie, de se consacrer à elle, quand ils se promirent de s’aimer pour toujours et de se marier quand ils seraient grands ! Non, Lisa, c’est ton bonheur, ton bonheur, si tu meurs plus vite de la phtisie dans un coin, dans un sous-sol, comme celle de tantôt. A l’hôpital, dis-tu ? C’est bon, si on veut t’y conduire, mais si tu es nécessaire à la tenancière ? La phtisie