Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/245

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C’est ainsi que les plus raffinées coquettes s’appliquent. pendant la nuit, des escalopes crues sur la figure, en manières de compresses, pour apparaître fraîches, souples et séduisantes après le bain du matin. Je nourris le crocodile de ma personne, mais je reçois de lui ma propre nourriture. Ainsi nous nous nourrissons mutuellement. Mais, comme il est difficile, fût-ce à un crocodile, de digérer un homme comme moi, il doit ressentir quelque pesanteur dans l’estomac — qui lui fait défaut, du reste. — Et c’est pour ne pas l’incommoder que j’évite le plus possible de me retourner. Je pourrais le faire, mais je m’en abstiens par humanité. C’est là le seul inconvénient de ma position et, au sens figuré, Timothéï Semionitch a bien raison de m’appeler fainéant. Mais je prouverai qu’on peut transformer le sort de l’humanité tout couché sur le côté que l’on soit, mieux : qu’on ne peut atteindre un tel but que dans cette position. Ce sont les fainéants qui élaborent toutes les grandes idées, toutes les évolutions intellectuelles favorisées par nos journaux et nos revues. Voilà pourquoi l’on dit avec raison que ces publications sont des sortes de laboratoires, mais peu importe. Je vais établir de toutes pièces un système social complet et tu ne saurais croire à quel point c’est facile. Il suffit pour cela de s’isoler dans quelque coin écarté, l’intérieur d’un crocodile, par exemple, et de fermer les yeux. Tout aussitôt on découvre le paradis de l’humanité. Tantôt, pendant