Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/88

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apercevait même pas. Et soudain, une pensée étonnante me vint à l’esprit. « Mais si je le rencontrais, pensai-je, et si je ne cédais pas ? Le faire exprès, fallut-il pour cela le pousser. Eh bien, qu’est-ce que cela ferait ? » Cette idée téméraire s’empara de moi peu à peu à un tel point, qu’elle ne me donnait pas de repos. J’y rêvais sans cesse, angoissement, et j’allais exprès plus souvent à Nevski pour me représenter plus clairement comment je le ferais, le moment venu. J’étais dans le ravissement. Ce projet me paraissait de plus en plus possible et probable. « Certainement, pas le pousser, pensais-je, devenant plus tendre à force de me réjouir ; mais voilà, simplement, ne pas me détourner, me heurter à lui, pas trop fort, mais une épaule contre l’autre, juste autant que la bienséance pourrait le permettre ; de sorte que je le heurterai juste autant qu’il me heurtera. » Enfin, ma résolution fut définitive. Mais les préparatifs me prirent beaucoup de temps. La première chose, c’est que pour accomplir cet acte il fallait avoir une mise des plus convenables et s’occuper du costume. « En tout cas, si par exemple une affaire s’engage en public (et ici le public serait de choix : la comtesse peut s’y trouver, le prince D., toute la littérature aussi), il faut être bien mis. Cela impose et nous met en quelque sorte sur un pied d’égalité aux yeux de la plus haute société. » Dans cette intention, je