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AVERTISSEMENT.

d’abord, il dégage des parties humaines, et dans ces parties humaines des parcelles divines. Il se simplifie au contact de ces natures simples, il s’attache à quelques-unes, il apprend d’elles à supporter ses maux avec la soumission héroïque des humbles. Plus il avance dans son étude, plus il rencontre parmi ces malheureux d’excellents exemplaires de l’homme. L’horreur du supplice passe bientôt au second plan, adoucie et noyée dans ce large courant de pitié, de fraternité : que de bonnes choses ressuscitées dans la maison des morts ! Insensiblement, l’enfer se transforme et prend jour sur le ciel. Il semble que l’auteur ait prévu cette transformation morale, quand il disait au début de son récit, en décrivant le préau de la forteresse : « Par les fentes de la palissade,… on aperçoit un petit coin de ciel, non plus de ce ciel qui est au-dessus de la prison, mais d’un autre ciel, lointain et libre. »

On comprend maintenant pourquoi cette douloureuse lecture laisse une impression consolante ; beaucoup plus, je vous assure, que tels livres réputés très-gais, qui font rire en maint endroit, et qu’on referme avec une incommensurable tristesse ; car ceux-ci nous montrent, dans l’homme le plus heureux, une bête désolée et stupide, ravalée à terre pour y jouir sans but. Dans un autre art, regardez le Martyre de saint Sébastien et l’Orgie romaine de Couture : quel est celui des deux tableaux qui vous attriste le plus ? C’est que la joie et la peine ne résident pas dans les faits extérieurs, mais dans la disposition d’esprit de l’artiste qui les envisage ; c’est qu’il n’y a qu’un seul malheur véritable, celui de